« Complètement déglinguée ! » La clé à molette faillit toucher le crâne du pauvre garçon qui n'avait rien fait. Si c'était lui ! En tant que grande sœur, Rei savait mieux.

C'est le premier souvenir de l'aînée Yanagi. Sa trottinette bousillée par son petit-frère, la boîte à outils de son père à ses pieds, son excès de rage en voyant son bolide en pièces. En pièces, elle exagère. Une roue de travers, parce qu'il était trop rapidement monté sur le trottoir. Et le genou en sang du pauvre marmot ? Sa mère était venue en courant, elle s'en rappelle très bien. Comme elle se souvient de sa punition. Une semaine interdite de sortie, et plus jamais de trottinette rose ne serait rangée à côté du tricycle de son petite-frère.

Mais une moto, une quinzaine d'années plus tard. Une belle, une grosse, qui faisait du bruit, dont la roue avant ne se pliait pas à moindre petit choc. Et un autre effet, que Rei enlève son casque, faisant voler sa chevelure après avoir enlever son casque. C'était sexy, surtout si elle appuie ça d'un clin d'œil offert à un veinard qui aura la trique rien que d'y penser.

Yanagi Rei. De peu, Satoshi. Que c'était pratique, ces kanji, qui se lisait comme-ci ou comme-ça. Non, on ne pouvait pas reprocher aux parents Yanagi leur manque d'idée. Ils étaient juste très malins, qu'on se le dise. Si, si, c'était très intelligent d'emmener sa fille faire des tours en moto, alors qu'elle savait à peine tenir assise. C'est comme ça que naît la passion. Du moins, d'après l'intéressée. La vitesse, tout ça, rythmait son quotidien depuis son plus jeune âge. En même temps, avec un père ancien pilote de F1, et une mère héritière de parts d'un constructeur automobile, il y avait de quoi.

La jeune femme grandit donc tâchée d'huile, le nez plein de l'odeur de l'essence, les oreilles pleines du bruit de pneus qui crissaient sur le bitume. Quand son père prit sa retraite, Rei connaîssait son premier job. Elle l'aida dans son projet de piste de karting indoor. A peine adolescente, la voilà formée sur le terrain. Chaque temps libre était dédié au centre Yanagi Motors.

Mais le plus drôle dans tout ça ? Pas de cheveux courts à la garçonne, pas d'ongles coupés à ras, pas de visage nu au naturel, pas de pantalon et de t-shirt sans formes. Non, Rei aimait être bien présentée. Toujours bien habillée, son uniforme portée pour mettre son corps parfait en valeur, soignée et polie, elle faisait partie des plus populaires de son lycée. La mode, c'est son truc. Les conseils beauté, c'est son truc. Le sport, c'est son truc. Les amis, c'est son truc. Les filles, c'est son truc. Facile d'être un modèle de pureté et chasteté quand on fantasme sur sa prof de mathématiques. Mais au moins, Yanagi Rei sortit du lycée avec son diplôme obtenu haut la main. Pas d'études supérieures, elle savait déjà ce qu'elle voulait faire.

Et pendant un temps, elle vécut cette vie rêvée. Un drôle de rêve, mais c'était le sien. Tout allait très bien. Du moins, elle le pensait sincèrement. Avec habileté, elle avait réussi à cacher ses tendances. Ce n'était pas un mal, si ? Aimer les filles n'était pas un crime. Rei aimait simplement les belles choses. Dans sa naïveté de fille adorée de son père, elle y avait crû. Elle avait crû qu'il se montrerait compréhensif. Certes, elle lui avait caché, mais pas par honte. Sa tranquillité, elle l'aimait. Et puis, ça ne regardait personne. La jeune femme s'était vraiment pensé discrète. Mais les bruits couraient vite dans cette banlieue chic de Tokyo.

Alors, elle avait essayé de se montrer sage. Pendant des mois, Rei s'était bridée. Plus aucune rumeur n'était parvenue aux oreilles de ses parents. Jusqu'à ce dîner dominical. Il l'avait dit. Il l'avait confirmé. Son frère. Dans sa grande cruauté. Etait-ce de sa faute si elle avait couché avec sa petite amie et qu'il les ait surpris ? Soit, ce fut une terrible erreur stratégique de le faire dans sa chambre à lui. Mais il n'était pas censé rentrer aussi tôt ! L'engueulade fut terrible, et la main portée sur sa joue. Qu'elle cesse ses conneries ! Sa mère n'avait pas bougé, son frère avait affiché une mine aussi réjouie que dégoûtée. Son père lui trouverait un mari. En voilà une bonne idée ! Ogawa Shota. En plus, il partait vivre en Corée du Sud ! Il avait un enfant, soit, mais les Yanagi lui fourguaient bien une lesbienne. Echange de bon procédé ? Rei n'était pas très sûre d'être en colère contre ses parents. A Busan, on ne la connaissait pas. Un petit goût de liberté. Et elle comptait bien s'y révéler !