L'Histoire Il était un homme dont le visage reflétait quelque chose qui inspirait la terreur aux autres. Ils n'osaient le toucher. C'était un je ne sais quoi d'inquiétant, une nuance en plus d'intelligence et de hardiesse dans le regard, à laquelle les autres hommes n'étaient pas habitués. Cet homme possédait la puissance. Devant lui, l'on tremblait. Les gens courageux, les gens qui ont une forte personnalité, sont toujours peu rassurants. Bref, je considère Caïn comme un fameux type.

Ses mains refermerent le livre d'un coup sec. Son regard se perdit un instant sur le mur en face de lui. Était-ce à cause de Herman Hesse que sa mère avait eu l'idée saugrenue de lui donner ce nom maudit ? Il se sentait en quelque sorte proche de cette description là du personnage de Caïn. Au sein de sa propre famille on le craignait, on le repoussait. Il y avait une laideur d'âme en ses parents dont Abel avait été préservé. Était-ce une raison de plus que de détenir la vérité pour le détester ? 

And the truth is... qu'il n'avait jamais été voulu. Caïn était un "accident", l'assassin de la jeunesse de ses parents. Aussi ne s'étaient ils pas occupés de lui dans ses très jeunes années. Ensuite était arrivé Abel "l'enfant prodige"; pour former l'illusion de la gentille petite famille ils avaient essayé d'y intégrer le grand frère puisqu'après tout ils partageaient le même sang. Échec. Caïn avait au contraire tout fait pour s'en exclure, il n'avait jamais été un enfant sage. Il s'était fait viré d'une école primaire parce qu'il renversait les tables et frappait les autres enfants.

De toute façon l'illusion n'avait pas duré. Ses procréateurs s'étaient même t-ils un jour aimés ? À ses cinq ans, enfant déjà pas très bien dans ses pompes, il s'était retrouvé déchiré entre deux parents, deux pays, deux cultures, deux langages et deux nations sans faire parfaitement partie de l'une ou l'autre. Un enfant cassé en deux et qui avait déjà compris qu'il n'aurait que lui sur qui se reposer. Il n'avait jamais abandonné. Ce garçon était né avec une volonté de fer. Bien loin d'abandonner la vie, il voulait la découvrir. Il ne se sentait part de rien mais libre de tout. Berlin , Seoul, l'Allemagne, la Corée du Sud. Par le hublot de l'avion, il avait l'impression que le monde était à ses pieds. Contrairement à ce que pensait ses parents, sa naissance n'était pas un accident. Il serait quelqu'un. Ce quelqu'un qu'on n'oublie pas, qui est dans tous les esprits mais dont on a peur d'en prononcer le nom.

Il ne sombrera pas dans la drogue ou dans les gangs. Il profitait des plaisirs de la vie sans jamais laisser le rapport de force s'inverser : c'est lui qui contrôlait ses désirs, pas ses désirs qui le manipulaient.  Il serait un peu idiot de partager le passé de Caïn en période. Il était né comme il est maintenant. Les années ne lui avaient servi que d'expérience pour affirmer son caractère. Que ce soit à cinq ou quinze ans, il était l'enfant rebel, le "cool kid" qu'on ne cherchait pas. À la fois craint et admiré. Caïn n'avait jamais laissé personne le mettre de côté comme il en avait été le cas dans sa famille. S'il était parfois solitaire, c'est parce qu'il le souhaitait. Ses actions débiles étaient souvent dictés par son désir de se faire remarquer et par l'ivresse de la jeunesse. Ça lui avait passé depuis. Diplôme en poche, il avait fait une fac d'histoire de l'art à Berlin pour la continuer à Séoul; toujours ce fichu besoin de changement. C'était drôle comme il voulait aussi fort que possible s'éloigner de son cercle familial mais comme pourtant celui-ci l'influencait. Après tout, il avait le sang Jeong dans ses veines.

Vingt ans. Son destin commença. Il se fit connaître grâce à une télé-réalité qu'il ne gagna pas certes, mais dont il fut l'un des seul dont le nom persista. Une habile manipulation des médias et des réseaux sociaux et son nom se répandit dans le monde entier. Ce ne fut pas facile et il dû faire nombre de sacrifices. Le premier fut l'amour. Caïn était un grand romantique depuis toujours, que ce soit sa passion pour les arts, 
le corps des femmes, sa popularité ou le monde, quand il aimait, il aimait sincèrement. Mais ça ne collait pas à son image. D'ailleurs ce ne fut pas bien compliqué d'y renoncer. La seule femme qui l'ai jamais attiré était Cameron. Et on ne peut pas dire qu'il en était amoureux. Quelque chose dans sa personnalité, son corps de rêve, le fait que son frère n'ai d'yeux que pour elle, la rendait la plus désirable à ses yeux. Ne s'était ensuivi qu'une belle amitié, aux allures parfois ambiguës (si elle pouvait quitter son crétin de frangin pour qu'il s'amuse avec elle de temps en temps ce serait quand même l'extase ). Toutes les autres, elles n'étaient pas vraiment intéressantes. Originales, drôles, belles, oui, c'est pour cela qu'elles finissaient dans son lit. Mais aussi loin que sa mémoire lui permettait de remonter, il ne se souvenait pas être tombé amoureux. Cameron était la seule femme qui lui importait dans sa vie.  Et il avait eu assez de considération pour elle pour ne pas blesser ses sentiments et l'abandonner à son frère . Un rictus déforma sa bouche alors qu'il se rappelait leurs années étudiantes.

Abel avait toujours été là. Il aurait préféré le jeter dans la poubelle de l'oubli et dénier leur lien de fraternité mais quand on s'appelle Caïn et Abel et que on est les deux seuls germano-coréen dans un campus/lycée/école, il est compliqué de prétendre ne pas se connaître. Leur relation n'était pourtant pas compliqué. Ils ne se parlaient pas et quand ils se parlaient s'était pour s'insulter. Mais que ce soit dans une sphère plus intime ou grand public, Caïn devait faire semblant d'au moins reconnaître l'existence de son frère. Quand on commençait à parler de lui, habilement, il détournait le sujet. Il lui était arrivé plusieurs fois de devoir mentir en disant que les deux frangins s'entendaient assez bien. Quelle blague. Ne serait-ce que de l'appeler frère ! C'était mieux ainsi, qu'ils s'évitent. À la fin de l'histoire Caïn tua Abel et fut maudit pour ce crime. Ils valaient mieux pour les deux de ne se croiser qu'occasionnellement.

Et de succès en succès, accroissant sa popularité, Caïn était devenu quelqu'un, lui qui était né pour n'être personne. Il s'installa à Busan il y a quatre ans, préfèrant l'ambiance de la ville portuaire au rythme effréné de la capitale. Ici, il décida de faire sa vie. Cette ville sera la clé de sa réussite. En quatre ans il ouvrit un club de nuit et en fit l'endroit le plus hype de Busan. Son nom était désormais sur toutes les lèvres et les rumeurs allaient bon train sur ce mystérieux personnage qui se montrait assez pour qu'on en entende parler mais trop peu pour qu'on sache réellement quelque chose de vrai sur lui.