"J'ai trouvé tes réserves de drogues à l'université. Si tu te ramènes pas au café Sulbing Seomyeon à Nam-Gu après les cours pour jouer du piano, tu risques pas de les retrouver."
Ho Boo avait juste glissé ce petit-mot dans le casier de Miles Jun, avant de se rapprocher de l'auditorium pour son premier cours de la journée. Même après plusieurs discussions, où le jeune homme tentait de convaincre le pianiste de venir jouer dans un café ou un bar, celui-ci l'avait toujours envoyé balader. Sûrement parce qu'il avait laissé entendre qu'il voulait l'accompagner au violon, parce que cela faisait longtemps qu'il voulait jouer avec Jun. C'était un peu la réalisation d'un de ses projets artistiques : jouer pour tout le monde, en public, animer les lieux, comme un vrai troubadour. Il en avait rêvé des années durant, ayant finalement jeté son dévolu sur Jun pour l'accompagner. Il espérait que quelqu'un remarque son camarade, parce qu'il le trouvait sacrément doué.
Après les cours, il avait enfourché son vélo pour Nam-Gu avec son violon, priant pour que l'autre étudiant vienne. Il avait demandé à emprunter le piano dans un café de renom d'un quartier dans lequel il ne mettait habituellement jamais les pieds. Et puis, il s'était dit qu'il pourrait bien sacrifier des économies pour payer un chocolat chaud ou un café hors de prix à Jun s'il daignait venir. Ce serait une sorte de remerciement.
Il s'arrêta devant le café, entrant silencieusement. Il se faufila ensuite au comptoir, pour saluer le responsable, et indiquer qu'il attendait juste son ami avant de commencer à jouer. Il en profita donc pour s'asseoir cinq minutes, et ressortir ses partitions et son violon, un peu angoissé. Il avait voulu faire ça pour le fun, pour se faire mousser, mais il sentait bien que finalement, ce n'était pas si drôle que ça sur le moment. Il espérait que tout cela se dissipe une fois en trin de jouer.
Il relisait donc ses partitions, toujours nerveux, le violon posé tout près de lui. Il n'aimait pas que son instrument soit loin. Et encore moins lorsqu'il devait relire les notes à enchaîner. Il chantonnait quelques accords, tout bas, pour ne pas déranger, se demandant quand Jun allait arriver, et si seulement il allait daigner débarquer.
Quelle ne fut pas la surprise de Boo, quand, juste à cet instant, Jun passa la porte pour le tirer de sa relecture :

- Jun ! Le piano est prêt, il n'attend plus que toi !

Le jeune homme aux cheveux jais avait maintenant un large sourire aux lèvres, ravi que la menace ait marché. Il savait bien que prendre en otage du chocolat marcherait ! Enfin, il pensait que Jun se droguait au chocolat... Quelle naïveté..!

gabi le loup

Un mot glissé discrètement dans le casier. Puis une menace à sa lecture. La signature invisible mais le sentiment de connaître l'existence même de son bourreau, il le sentait Jun. Et il n'avait pas tout à fait tort d'imaginer la présence du Brun derrière les mirages manigances. Car ce n'était pas la première fois qu'il entendait parler de ce café, de cette folle envie de vivre une aventure musicale à ses côtés ; de faire un duo ensemble. Le piano et le violon, réuni pour une même sérénade. Et à chaque fois, Jun avait décliné l'offre. Aussi embarrasser qu'énerver. 

Mais aujourd'hui ? Le plus jeune le menaçait, aussi innocemment qu'avec conscience. La drogue … Elle allait décidément avoir sa mort. Seulement, c'était hors de question qu'il se laisse faire. Hors de question oui, qu'il le laisse avoir une emprise sur lui comme pouvait en avoir eu une son pourri d'oncle. Personne ne pouvait faire les choix de Jun à sa place … Jamais ! Néanmoins, n'avait-il pas un minimum envie de rencontrer la mélodie des deux instruments ? 

Passionné à n'en plus pouvoir s'arrêter.
Jun avait toujours joué pour lui-même plus que pour les autres. Composé selon l'inspiration du moment, la liberté entre les doigts. Alors était-il seulement capable de jouer devant les autres, indépendamment de sa classe ou même de ses amis ? C'était peut-être ce qui l'avait poussé à repousser le plus jeune à chaque fois qu'il lui avait aiguisé l'idée. La confiance qu'il prétendait avoir … Et la lâcheté, toujours la lâcheté.

Alors il avait passé le reste de la journée à espérer croiser le garçon, Jun. Mais ses efforts n'avaient été que fait en vain. Ses pieds obligés de se déplacer jusqu'au café en question, la boule au ventre. Piquer une crise, tout foutre en l'air et le menacer à son tour ; ça avait longuement été son plan sur le chemin. Jusqu'à ce qu'il croise le regard fier du jeune homme, le large sourire contemplatif. Celui qu'il n'offrait jamais aux autres, lui. Un côté attendrissant qu'il avait toujours apprécié avec Ho Boo. Une des raisons qui avaient fait qu'il n'avait toujours pas rayé de sa vie. Quelques mois qu'il le suivait, l'engueuler et le faisait fuir quelques jours avant qu'il ne revienne à la charge. Véritable cercle vicieux.

« Tu te fous de moi Byun ? C'était quoi ce message dans mon casier ? » avait-il lancé un peu plus loin, s'approchant petit à petit. Car oui, au fond, comment il avait appris pour sa cachette ? Comment il avait su que c'était la sienne et pas celle d'un autre toxicomane ? Un coup de chance, sûrement. Et malgré ses interrogations, son regard s'était penché vers l'instrument, l'objet qui ornait sa vie depuis tant d'années. « Il est beau. » Commentaire discret. Léger rictus sur les lèvres. « Je t'ai dit pleins de fois que je ne jouais que pour moi. Faut que je te le répète combien de fois pour que ça rentre dans ta cervelle ? Moineau. » Parce qu'il sentait que s'il ne lui disait pas encore, c'était comme s'il avait le contrôle sur lui. Maître de lui-même. Et que s'il ne le faisait pas, il devrait lui redire d'autres fois encore.

Des milliers de fois.

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Évidemment, Jun ne semblait vraiment pas ravi. Voler ses réserves de chocolat était donc si efficace ? Décidément, le sucre était une arme de persuasion plutôt efficace... Surtout si cela permettait de faire venir un tel cas ! A vrai dire, Boo avait envisagé le fait que ça ne marche pas... Ou alors que Jun soit en retard. Mais pas qu'il soit ici à temps et aussi grincheux. Bon sang, il aurait dû lui ramener une tablette de chocolat pour le calmer en fait...

« Tu te fous de moi Byun ? C'était quoi ce message dans mon casier ? »

Les yeux de l'androgyne brillaient d'un éclat malicieux. Vraiment, il avait bien joué ce coup-ci ! Il espérait vraiment que cela allait acculer Jun jusqu'au bout ! Il voulait absolument jouer quelques trucs avec lui !

- C'était une menace ! Mais je ne pensais pas que tu étais aussi accro' que ça, honnêtement...

Il fallait dire que dans l'esprit de Ho Boo, le chocolat était surtout un truc de déprimés récemment quittés par leur moitié. Est-ce que Jun était du genre à avoir le coeur brisé ? Oh non, c'était un peu triste quand même... Il avait moins l'air d'un garçon froid et ténébreux d'un coup. Peut-être que maintenant, il apparaissait même un peu pathétique.
Jun reporta ensuite son attention sur le piano. Le diablotin savait bien qu'en voyant un aussi bel instrument, il allait vite céder. Ce piano était trop beau pour que Jun se passe du moindre commentaire. « Il est beau. » , avait lâché tout bas le pianiste. Le charme avait opéré. Il n'allait pas refuser les avances d'un aussi bel instrument quand même !

« Je t'ai dit pleins de fois que je ne jouais que pour moi. Faut que je te le répète combien de fois pour que ça rentre dans ta cervelle ? Moineau. »

Ho Boo le savait bien ça, mais il préférait que Jun se rassure ainsi. Tout ce que voulait le petit démon, c'était jouer. Alors il avait attrapé son violon, toujours aussi joyeux. Il fallait brosser son camarade musicien dans le sens du poil désormais. C'était une tâche aisée sur ce cas-là, puisque Boo avait juste à être honnête.

- Je sais bien, mais tu es si doué..! C'est cruel d'à chaque fois fuir ta première performance publique... Et regarde, aujourd'hui je t'accompagne, comme ça la prochaine fois tu pourras jouer tout seul !

Il s'approcha du piano. Il fallait vraiment que son camarade craque. A vrai dire, Boo avait aussi un peu peur de jouer seul, même si lui il l'avait déjà fait. Mais jouer avec quelqu'un d'aussi doué que le pianiste l'avait toujours fait rêver. Surtout à l'idée de jouer ici. C'était un lieu particulier, pour quelqu'un qui préférait jouer dans des rues de quartiers populaires la nuit.
Le Byun s'approcha donc de Jun, lui lançant tout bas sur un ton malicieux :

- Voyons, ne me dis pas que tu as peur Miles...

Il lui fila un léger coup de coude (moqueur ? Amical ? Aucun moyen de le savoir) avant de positionner son violon. Est-ce que Jun était prêt à relever le défi ? Il allait vite le savoir. Mais il était déterminé à aller jusqu'au bout, qu'importe comment ça se passait.

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