L'Histoire Trouvée. Trouvée. Juste trouvée, un beau petit bébé, dans une poubelle. Drôle d’endroit pour un nouveau-né, non ? Nana. Ahn Nana. Un nom qui n’est pas celui de ses parents, celui de sa mère, celui de son père, mais celui du vieux monsieur ayant décidé de la prendre sous son aile, d’en faire sa propre-fille, un grand-père jadis impliqué dans la pègre, aujourd’hui reconverti en restaurateur, tenant une vieille échoppe de quartier où viennent manger des habitués.

Une mère – probablement coréenne – et encore, un père d’origine inconnu, en tout cas probablement un métissage à en croire ses grands yeux et les traits de son visage. Un enfant hors-mariage, dont les parents ne veulent pas. Une date de naissance dont Nana ne connait que l’année et le mois, un froid mois de décembre. Sa survie-même, dans de telles conditions, jusqu’à être découverte par celui qui allait devenir sa seule et unique famille, tenait du miracle. Et le reste se révéla être un beau miracle aussi. Un miracle difficile à gérer, un miracle hors-norme, inattendu, mais un miracle.

Connaître toutes les décimales de Pi par cœur jusqu’à la dernière, savoir parler et écrire à deux ans, pratiquer le calcul mental à en faire rougir une calculatrice à cinq ans… Rapidement, la petite se démarqua des autres, remarquée par ses professeurs, étonnant même papi Ahn, qui ne voyait pas d’où toutes ces informations pouvaient lui venir alors qu’à la maison ils étaient plutôt du genre à regarder des émissions de variété que des documentaires et autres émissions savantes. Sous la pression de ses professeurs s’en suivirent plusieurs tests, entrevus avec des psychologues et pédopsychiatres… Et le constat : un petit génie. Haute comme trois pommes, avec un QI intellectuel bien supérieur à la moyenne. La scolariser dans des instances particulières, la faire sortir du système scolaire classique, voire même l’envoyer en internat dans un établissement pour « enfants avancées ». Une vie recluse, un traitement bien trop différencié de celui auxquels avaient droit les enfants de son âge… Et que papi Ahn refusa. Non, son Einstein resterait à la maison. Dans cette vieille baraque, dans ce quartier ancien, un peu mal famé mais plutôt chaleureux où tous se connaissaient. Elle ne deviendrait pas un monstre de foire, elle serait simplement Nana.

Et la Nana qu’elle veut. La Nana qui fait des mathématiques toute la journée, mais aussi la Nana qui aime bricoler. La Nana qui adore coudre des vêtements et en habiller son entourage, la Nana qui sort des remarques et des faits un peu obscurs parfois, la Nana qui bannit les calculatrices de la maison sous prétexte qu’il s’agit d’engins du diable induisant l’humanité en erreur depuis leur démoniaque création, la Nana qui se bat à l’école et revient couverte de bleus, qui désobéit à ses professeurs et serait virée de son établissement depuis bien longtemps si ses résultats scolaires ne plaidaient pas en sa faveur, la Nana qui s’habille de façon excentrique, teint ses cheveux quasiment tous les mois d’une couleur différente, mais Nana. Elle-même, plutôt qu’une fille façonnée par des professeurs et psychologues en chemise et jupe plissée, avec des lunettes et enfermée dans une bibliothèque à longueur de temps, entourée d’élèves ayant deux fois son âge à force de sauter des classes. Une vie normale, un entourage normal, une université normale, avec une Nana bien peu normale. Peinant à trouver sa place, ne parvenant pas à se fondre dans la masse.
Être, c'est être différent, c'est n'avoir pas de sosie, pas même dans la glace.