L'HistoireEn pyjama bleu roi parsemé de milliers d’étoiles, Kieran se sentait tel la lune à qui les astres lumineux dévoilaient tous leurs plus noirs secrets. Pieds nus dans l’herbe fraîchement arrosée, on se demandait comme le p’tit prince luttait contre le sommeil, si jeune mais finalement déjà plus si p’tit que cela. Il grandissait drôlement vite pour son âge. Respirant l’air frais d’Edimbourg, le moucheron d’à peine trois petites pommes était penché sur le télescope qu’il avait eut à son anniversaire. Monsieur Cameron, soit le premier majordome de la maison Lokhart, avait été le complice du petit Kieran  pour cette affaire secrète. En effet, de si petits bras, même déjà costauds pour leur jeune âge, n’auraient jamais pu porter un si gros appareil. Le p’tit prince prenait un temps fou à régler son précieux cadeau ; il avait déjà compris que ce n’était pas qu’un jouet. Cependant, un homme à forte carrure, viking des temps modernes, l’air sévère avançait droit sur la petite créature. Kieran se sentait déjà beaucoup moins intrépide, il savait ce qui l’attendait.

«  Kieran ? Kieran ! Bordel, qu’est-ce que tu fous dehors à cette heure-ci ? Cameron, vous avez intérêt à avoir des explications.
- Mais père… C’est la nuit qu’on les voit mieux. »
Alors que Monsieur Cameron expliquait au maître de maison, les frasques de sa progéniture, ce dernier hésitait entre l’attendrissement et l’envie de lui envoyer une belle rouste. Après tout, cette bouille enfantine avec ses cheveux ébènes en bataille, ces grandes oreilles et ces yeux immenses emplis d’une profonde et sincère curiosité ; comment lui résister ?

« Allons, William, chuchota Madame Lokhart à l’intention de son mari, détends-toi un peu. Loki, approche petit prince. Que regardes-tu ?
- Père a dit qu’il y allait avoir quelque chose d’incroyable ce soir, je ne voulais pas le manquer.
- Qu’est-ce donc, fils ?
- Le Gros Tas d’Hercule ! »

La réplique du petit prince fit rire ses géniteurs. Vexé, l’enfant s’était mis à les ignorer royalement. Son père s’était approché et s’était accroupi à côté de Kieran. En adaptant son vocabulaire à celui de son fils, ainsi qu’adoucissant sa voix, il régla avec lui le télescope. Une manipulation après l’autre, après les vérifications paternelles, Kieran pu coller son œil contre la lunette. Il poussa une exclamation, décidément son père faisait du bon boulot.

« Tu vois ces étoiles, Kieran ? Elles sont vieilles comme le monde, plus vieilles encore que le Soleil. C’est le Grand Amas d’Hercule. »

La voix douce de son père d’un côté, la main de sa mère perdue dans ses cheveux, ce fut le dernier souvenir de bonheur que Kieran partagea avec ses deux parents.


Une dizaine d’années plus tard, Kieran était assis dans sa chambre en tailleurs devant des tas de coupures de journal. Vivant dans un appartement à Londres en compagnie d’une gouvernante et d’un majordome, ça faisait longtemps que son père ne s’était pas occupé de lui. Il ne se plaignait pas, après tout, il avait ses chèques tous les mois. Et l’affection d’un père, ma foi, il se portait comme un charme sans. Cependant, l’amour maternel, lui manquait. Kieran étala sur le sol les différentes unes de journaux. The Daily Telegraph disait un brin poétiquement « Une étoile s’est éteinte mystérieusement dans la nuit. » à propos de sa mère. The Sun arborait la une « La Lokhart Spatial Indusries en deuil. » alors que The Times de son côté avait choisi « La mort de l’épouse de l’astrophysicien Lokhart choque la Grande Bretagne. » Et il avait recensé au moins deux douzaines d’autres articles.  

Kieran était perplexe. On lui avait dit que sa mère était décédée d’un accident de voiture alors qu’elle rentrait d’un dîner d’affaire. Cependant, le p’tit prince se doutait que ça partait de bien plus loin. Probablement que c’était en lien avec ce fameux dîner. Il avait interrogé son père, il avait interrogé sa gouvernante, Monsieur Cameron et toutes les personnes qu’il avait réussi à relier à cette soirée. Le chauffeur était décédé sur le coup de l’accident et Elizabeth Lokhart de ses blessures quelques heures plus tard seulement.

Loki restait perplexe et cet après-midi là, il reçu un mail inattendu. Des fichiers audio de conversation téléphonique, des scans du rapport d’autopsie et encore deux-trois documents bien mystérieux et utiles. Allant  sur ses quinze ans, Loki était déjà un petit génie en herbe. Il avait tracé l’adresse de son expéditeur, mais aucun élément ne le menait à quelque chose de concret, qui aurait pu l’aider. Ce ne serait que quelques mois plus tard, qu’il apprendrait toute la vérité et qu’il déciderait de sacrifier ses passions et sa vie de réussite pour ôter le voile de cette mascarade et rétablir un semblant de vérité et de justice.


« Kieran William Lokhart, je n’t’ai élevé pour que tu t’amuses à te donner en spectacle devant des guignols en perruques. Si tu veux porter la robe, autant que tu deviennes moine. Tu gâches ton talent, j’croyais que t’étais passionné ? Si ta mère était encore là, si elle voyait cela, elle-
- J’vous interdis d’parler d’elle. Père, pardonnez-moi, mais j’espère être clair. Plus jamais. »

Kieran Lokhart était brillant. Kieran Lokhart était un génie. Ingénieur en astrophysique, comme son père, il surpassait encore ce dernier. Malgré sa saleté de caractère, il faisait sa fierté. Les Américains et les Russes se le disputaient. Durant ses études au MIT, les recherches et le talent de Kieran avaient été reconnu. Le monde le voyait déjà reprendre les rennes et la succession de Lokhart Spatial Industries. Il aurait pu innover, inventer, faire évoluer la multinationale de son géniteur mais au lieu de cela, il avait changé de voie.

Celui qu’on surnommait « Loki » avait étudié le droit en douce. Et il était prêt pour la suite, pour débuter une novelle histoire, poursuivre ce but qui le hantait depuis le lendemain de cette fameuse nuit d’été.

Kieran avait renié ses plus grandes passions pour faire de sa vie une vengeance à la mémoire de sa mère.