L'Histoire "Je ne sais pas, je ne veux pas me précipiter, un prénom c'est si important... Je pense que quand on verra son joli visage, alors, on saura comment il s'appelle." -Mme Amélie Huang LaCroix.
Tu n'en as aucun souvenir, mais lorsque tu es né, il t'a regardé avec de grands yeux amoureux, il t'a couvé du regard comme on le fait avec ce qui nous est de plus précieux, il t'a gentiment nettoyé, petite chose frêle que tu étais, t'as enveloppé dans un doux tissu en chantonnant doucement, te préparant pour te ramener à sa femme, à ta mère, à l'amour de sa vie. Et dès l'instant où vous êtes entrés dans la chambre d'hôpital de ta mère, il n'a plus posé les yeux sur toi; Elle n'était pas là, à t'attendre, un nom au bord des lèvres à glisser sur tes traits de nourrisson. Tu n'en as aucun souvenir, de la course dans les couloirs, de cette infirmière contre laquelle ton père t'a abandonné pour entrer en furie dans une salle d'opération. Tu n'en as aucun souvenir, de ses cris, de ses protestations contre l'incompétence du personnel, de ses rugissements furieux contre le manque de communication, de son regard froid sur toi alors qu'il te nommait comme pour se souvenir à jamais de ses fautes. Tu n'étais qu'un nourrisson.  
Tu ne t'en souviens pas, de tes caprices, tu étais si jeune. Tes cris se heurtaient à un mur, tes pleurs résonnaient contre les fenêtres, tes larmes se coulaient sur ton pyjama. Elle ne cillait pas, une veine pulsant à sa tempe, portant sur toi le même regard désensibilisé que ton père, elle ne t'aimait pas beaucoup plus que lui et soudain, sa main se lève, et virevolte, venant calquer une aquarelle rougeâtre contre ta joue bouffie d'enfant. Il ne s'est pas énervé, il n'a pas crié, n'a appelé aucun service de redressement, il s'est contenté, de changer de nounou. Tu ne t'en souviens pas, de tes tours, de tes yeux doux, de ton sourire attendrissant, tu avais déjà bien compris que les cris ne te donneraient rien, que tu devrais ruser. Tu ne t'en souviens pas, tu n'étais qu'un enfant.
Tu t'en rappelles à peine, tes premiers pas dans cette école, tes joues encore gonflées des sucreries dont tu aimais abuser, des premiers rires, pas des tiens, non, des leurs. Ils n'étaient pas habitués à avoir un métisse dans leur classe, ils ne pouvaient pas prononcer correctement ton nom, tes rondeurs dépassaient celles liées à l'enfance, il ne leur en fallait pas plus pour que les surnoms pleuvent. Puis elle est arrivée, glissant des rires au détour de vos conversations, tes doigts effleurant le clavier à toute vitesse pour pouvoir lui parler rien qu'un peu plus encore avant de t'endormir, laissant échapper quelques mots d'amour ici et là pour partager une relation, enfin, avec quelqu'un qui t'aimait pour toi. Tu t'en rappelles à peine, de ce rendez-vous que vous vous êtes fixés à Séoul, de ta fugue le coeur battant, de ton arrivée sur ce quai de gare, de ton souffle accroché  dans ta gorge, pris par le bonheur. Tu t'en rappelles à peine, de son regard troublé, de ses pieds hésitants, de ses mains se dérobant aux tiennes, de la déception dans sa voix. Tu n'étais qu'un ado.
Comme si c'était hier, il te revoyait après 4 mois d'absence, son regard surpris scrutant ton corps de jeune homme. Il avait quitté un adolescent en pleurs, brisé, tu avais bien changé, oubliés les quelques kilos en trop, ton programme drastique avait fait de toi une autre personne. Tu as changé dès lors, devenant plus distant, plus fier, plus blindé, enchaînant les conquêtes, retournant à l'hôpital la tête haute. Comme si c'était hier, tu te revois entrer à l'université, ton père t'accusant de manquer d'ambition pour t'engager dans cette voie, t'envoyant ton échec certain en pleine figure pour te décourager, tandis que toi, son fils, tu redoublais d'efforts pour faire mieux, faire plus, pour gagner son nom. Comme si c'était hier, tu reçois à nouveau des félicitations pour ton excellent essai, le chirurgien te claque le dos en riant grassement pour te féliciter de ton efficacité. Comme si c'était hier... Car ça l'était, hier.