passion SUBWAY STATION, le 03.10.2018.
(ootd babe)Froid ; dans le gris de Busan, sur un quai de gare, il y a une paire de mains chaudes qui cherchent à garder leur chaleur. Frottées entre elles, collées contre ses joues gelées, Zhen Huan grelotte et pousse un long et brûlant soupire, la buée se dissipant dans l'air en une blanchâtre fumée. Sous ses yeux, des cernes d'un bleu ciel parsemé de violet. Puis ses pommettes sont entachées de rosé et de blanc, de trop de fatigue et d'une température changeante à souhaits. Il a ses lunettes rondes perchées sur le nez et un livre audio dans les oreilles, les paupières à moitié clauses, récitant les phrases en chinois comme pour ne pas oublier. Parfois, à avoir fui son pays natal, l'anxiété de ne plus se rappeler de son merveilleux passé le rattrape : Alors il court après ces petites choses qui font de lui la personne qu'il est, ces origines, ces souvenirs, ses rêves et ces bien-aimés. Sa journée venait de s'achever, il allait pouvoir rentrer chez lui après quasiment 24h à sprinter dans les couloirs d'un hôpital trop bondé. Attendez que le froid arrive et voilà que les gens tombent tous malades et deviennent fous, on l'avait collé de corvée aux urgences et il en a bien bavé, entre les intoxications alimentaires, les beuveries pour se réchauffer ou les scénarios loufoques avec un couteau planté en voulant sculpter un potiron, Zhen Huan n'a littéralement eu que le temps que de souffler, boire un verre d'eau et rouler des yeux quand en plus, un patient lui a dit qu'il était longuet.
Bref, là, maintenant, tout de suite, un bain chaud, le calme et la sérénité : C'est tout ce qu'il demande. A travers les quelques paroles de son bouquin sur le coaching personnel, il entend au loin le crissement des rails du métro et daigne ouvrir une de ces mirettes pour s'assurer que ce n'est pas son train qu'il manque. Par chance, non. Et il est sur le point de se rendormir quand un bouquet de jonquilles et une mâchoire douce et fine attirent son œil. Une cascade de châtain, un nez remonté et ce regard...
Ce regard qui ressemble trop au sien... Pendant quelques secondes, c'est tel que le temps n'est plus, que les secondes n'ont plus de sens et qu'aucune logique n'est adonnée aux minutes. Le souffle lui est coupé et il retire ses écouteurs avec lenteur et hésitation, salive ravalée et coup de pression lui montant à la tête. L'alarme des portes automatiques se fait entendre et son cerveau le réveille brutalement, son inconscient lâche le prénom comme un mantra que sa bouche répète diligemment avec poigne et désarmement :
« Rei ? Rei ?? ... » Il n'y croit pas encore.
Est-ce le sommeil, le stress qui retombe ou l'air frisquet qui lui tarent l'esprit, qui sait, toutefois, ce n'est qu'à force de la fixer s'en aller qu'il se rend compte que c'est bien elle, elle, son sang, sa chaire, l'unique ; un sentiment de catastrophe s'encrasse dans son poitrail, panique ! Qu'elle lui échappe encore ! Encore une fois ! Cœur serré et phalanges bleues à trop agripper les manches de sa veste, l'espace d'un instant il réfléchit à se jeter sur les rails pour courir après l'appareil, néanmoins le cri du klaxonne du métro à son quai le réveille et il lui faut un petit aparté pour remettre en place ce puzzle. Trop d'effusions, de sensations, une inondation d'images de cette demoiselle à la vitre du véhicule, surprise et étonnée, aussi désemparée que lui de cette rencontre fortuite et pourtant, mal synchronisée. Est-il devenu fou ? Ce n'est pas la première fois que le visage de sa sœur le hante. Ce n'est pas la première fois qu'il espère pouvoir la revoir n'importe où, n'importe quand, juste pour enfin la revoir autre part qu'en photo. Les larmes le frappent en un éclaire, un terrible sanglot qui lui écorche la gorge abîmée. Et dératé, désespéré et meurtri, ses jambes dans un réflexe fraternel, dans une envie, un désir qu'il couve et enfouit depuis presque une décennie, se jettent sur la passerelle pour la rejoindre par tous les moyens. Priant qu'elle se soit arrêtée à la station d'après, priant revoir ce minois, un bout de femme qu'il n'arrive pas à recadrer sur cette enfant qu'il n'a pas vu grandir assez longtemps. Il court dans les escaliers et dérape, à moitié aveuglé par ses pleurs, à moitié embué par sa respiration hâtive et son état physique qui le ramène à la réalité : Zhen Huan est épuisé. Il rate le métro de peu et manque de s'écrouler, dépité, tentant de garder son sang-froid bien que toutes les émotions lui arrachent des idées noires et d'horribles pensées.
Et si c'était vraiment elle mais qu'il ne la reverra plus jamais ? Et si ce court instant où leurs pupilles ont fusionné n'était plus que le dernier et qu'il n'aurait plus qu'en tête ses doigts délicats autour de ce bouquet jaune, silhouette emmitouflée dans une robe blanche trop longue et radieuse pour la perle qu'elle est déjà. C'était beaucoup d'un coup. C'était inespéré, comment pourrait-il laisser l'opportunité lui glisser comme ça ? Le médecin jette un regard noir sur le compteur, maudissant les chiffres affichés puis tourne sur lui même et se retourne, calculant la distance entre cette station et la suivante. S'il court, il peut peut-être ne pas la rater ? Mais trop de probabilités font qu'il pourrait simplement courir pour rien. Il décide d'attendre encore quelques secondes et s'apprête à partir à toute allure vers la sortie quand l'appel du train d'en face lui redonne un petit espoir : Juste au cas où, juste un regard, si jamais Rei a eu la même idée que toi.
Et alors qu'il est à moitié en course, à moitié à l'arrêt, il aperçoit l'étrangère aux courbes si familières, une étincelle le faisant éclater. Sans réfléchir, il retourne vers la passerelle à pas pressés, défilant tout le quai une deuxième fois et la surveille en coin : Elle arrive. C'est long, trop long. Presque 10 ans. Même plus. Il n'arrive plus à compter. Il trébuche dans la hâte sauf qu'il s'en fiche, il remonte et reprend sa marche avec les muscles lourds et le crâne chargée et nonobstant, si libre, enfin libre ! Plus rapide, sûrement plus reposée, Rei est déjà en face de lui, à quelques marches. A quelques mètres à peine. A quelques pas de lui, à quelques centimètres, à quelques efforts près. Zhen Huan fait tout en son possible pour ne pas s'abattre sur le chemin à terre et fondre de chagrin et de bonheur. Il fait tout son possible pour juste l'observer sans rien dire, s'enivrer de sa voix, de sa présence et de son parfum. La distance réduite, la distance effacée, la distance inexistante, ses bras s'entrouvrent pour l'accueillir et l'enlacer avec intensité, puissance et presque frayeur. Pour la capturer, pour qu'elle ne disparaisse plus jamais. Un gémissement rauque lui fait mal et quand elle s'écarte pour l'observer il la ramène immédiatement vers lui en secouant la tête et en continuant dans leur langue maternelle :
« Si c'est un rêve j'aimerai qu'il ne se finisse jamais. » Parce que ça fait trop mal d'espérer quelque chose qui ne viendra pas. Ça lui ferait trop mal de se dire que c'est trop beau pour qu'elle soit vraiment là.
« Rei ? » demande-t-il à nouveau, pour une confirmation, pour une affirmation. Désespéré et soulagé. Il reste là, à la garder près de soi, à la sentir menue et petite, une source de fraîcheur qu'il se dépêche de réchauffer en l'enfouissant dans son manteau. Il complexe un instant en disant qu'il doit sentir l'hôpital, le désinfectant et le mal lavé mais qu'importe. Qu'importe, sérieusement. Si ça peut le rassurer, l'odeur de la lessive doit peut-être cachée celle de la sueur. Il voudrait dire plus, il voudrait vraiment pouvoir lui poser trente et une question toutefois, il ne fait que reculer après une éternité, la gardant en mains, hors de question de s'en détacher et à la contemple de haut en bas avec deux sourcils bien froncés et des lèvres pincées.
La triste réalité lui retombe dessus : Sa sœur qui avait disparue, sa sœur qu'on lui a arrachée, petite fée aux allures bien changées, aux formes trop travaillées, à l'innocence tout juste marquée sur ce faciès qu'il reconnaît malgré tout le paradoxe qu'il représente.
« Tu dois mourir de froid. » fait-il sans hésiter, retirant son manteau dans l'immédiat pour la couvrir avec sans vraiment lui demander. C'est gênant mais c'est un début, ce n'est pas encore ce qu'il voudrait mais peut-être que pour le moment, ne pas briser cette bulle reste le plus important. Qui sait, entendre les vérités qui déplaisent lui brisera sûrement le cœur, peut-être même qu'il n'arrivera fnalement plus à se pardonner...
Featuring : @oh mei