ta naissance a toujours été quelque chose de flou, vaguement enoncée par ta mère dans des balbutiements incohérents. tu vois bien que ça l'embarrasse, alors t'as jamais vraiment cherché à en savoir plus. apparemment tu serais né au chili, le pays où tu as grandi, mais ton papa serait chinois. au fond, tu peux pas lui prouver le contraire, tu l'as jamais vu ce "papa".

tu grandis, tu apprends à marcher puis à courir, à parler espagnol puis chinois. t'as pas énormément d'amis, parce que ton nom c'est face de citron apparemment, ou ching chong nip nong, et les autres gosses pensent que les yeux bridés c'est contagieux. mais tu t'en sors bien à l'école, alors ça pourrait aller pire. il te paraît naturel de faire l'aveugle devant les crises de folies que ta mère traverse parfois, quand tu sors de l'école. c'est plus dur d'ignorer les bouts de verres brisés dans lesquels tu marches le matin, par contre, mais tu oses à peine les mentionner de peur qu'elle recommence.

tu te rend vite compte que quelque chose ne va pas avec elle. t'as jamais osé demander trop, de peur de confirmer ton doute que quelque chose cloche. au fond, tu le sais que certaines choses ne tiennent pas la route. comme le fait de ne jamais pouvoir parler de son père, mais d'avoir beaucoup entendu ta mère parler coréen au téléphone, ou le fait que tu ai beau fixer, tu ne vois aucune ressemblance dans son visage. mais ta peur est plus forte que ta curiosité, alors tu gardes ces doutes dans un petit coin de ton cerveau, et essayes de ne pas y penser.

tu décides faire un truc un peu fou, un peu dangereux pour un gamin protégé comme toi. tu te trouves un correspondant. c'est un garçon, un coréen, et tu finis par tellement bien t'entendre avec lui que tu ne peux que l'appeler ton ami. c'est ton premier ami, et c'est excitant putain. et puis un jour, tu oses, sur un court moment de folie. tu demandes à aller visiter ton ami à séoul.
tu as gardé une marque de sa réponse plusieurs jours sur ta joue.
sans même avoir le temps de comprendre, tout dégringole. elle refuse de te laisser sortir, surveille tes moindres faits et gestes et t'empêche d'échanger avec ton correspondant. pendant un moment, tu l'as accepté. tu sais que ton correspondant t'as oublié depuis le temps, alors tu as décidé de laisser tomber aussi. puis t'as rapidement compris que t'avais un avantage sur elle : ton intelligence. alors tu fais ce que n'importe quel gamin ferait face à un parent un peu strict, tu t'en sers pour faire le mur. enfin, « faire le mur ». tu t'en sers pour faire des choses normales pour un adolescent. comme sortir acheter du coca et faire un tour dans la ville à 03h du matin par exemple, ou avoir un petit boulot dont le salaire reste caché sous ton lit.

puis t'es arrivé au bout. tu te dis que si tu restes une seconde de plus ici c'est toi qui va finir fou. alors tu discutes avec elle, prétend avoir été accepté à stanford aux états-unis, et que ce serait de la folie de laisser passer ça. elle accepte, à la condition de rester sous sa surveillance.
ha.
qu'elle est naïve.
il y a beaucoup de choses que maman ne sait pas. maman ne sait pas que t'en as rien à foutre des US, et que c'est à Séoul que t'as été accepté, avec une bourse. maman ne sait pas non plus que tu t'embarques dans des études de médecine, juste pour la promesse de passer 10 ans loin de ses griffes. maman ne sait pas non plus que tu as changé de numéro. mais surtout, maman ne sait pas que tu n'as aucune intention de revenir.