L'Histoire

assise à cette table, tu repensais à ta vie, ton enfance. t'étais une gamine heureuse, calme. vous étiez pas vraiment riches, mais au moins, il y avait de l'amour dans cette famille. tu repensais à ton grand frère, bo sung, à vos jeux d'enfants, à ces moments où vous faisiez tourner la tête de vos parents avec vos bêtises. tu étais appréciée de tous, autant au sein de ta famille qu'à l'école. t'étais entourée, choyée. t'avais des tas de copines à inviter à tes anniversaires, et t'aurais voulu que rien ne change. parce que le bonheur te souriait, parce que t'avais pas besoin de plus. en fin de compte, t'avais tout ce que tu voulais, même si tes parents ne pouvaient pas tout vous offrir. ton père travaillait dur pour apporter ce qu'il fallait d'argent, pour vivre convenablement, et ta mère elle, s'occupait de vous, du mieux qu'elle pouvait. tu t'amusais déjà à écrire des histoires dans ton journal intime, tu te créais ton univers magique en le gardant secret, et tu vivais ta vie, comme toute petite fille de ton âge.


terminant ta bière d'un trait, tu te remémorais ce douloureux souvenir, celui qui avait détruit ta famille. t'avais pas prévu ça, t'avais pas prévu que ta vie change du tout au tout. ton père avait fait l'affaire du siècle, qu'il disait. en une fraction de seconde, ta vie venait de changer. la fortune avait gagné ta famille sans que tu ne t'y attendes, sans que tu puisses le prévoir. tes parents t'avaient fait quitter ton cocon pour une école privée, tu croulais sous les cadeaux inutiles et futiles, ta mère passait désormais tout son temps à faire les magasins et montrer son nouveau statut social. et dans tout ça, toi, t'avais perdu l'amour de ta famille, t'avais perdu la présence d'un frère avec qui tu t'amusais tant. t'avais perdu les bras chaleureux de ta mère et les baisers de consolation de ton père. t'avais l'impression que le monde s'était écoulé sous tes pieds, sans savoir comment remonter à la surface. toi, t'avais jamais voulu de ça, ta vie te convenait telle qu'elle était, mais tout avait disparu, en un claquement de doigts. tout ça s'était envolé en fumée, sans ton consentement.


une cigarette coincée à la commissure de tes lèvres, tu l'allumais d'un geste fin, laissant échapper un brin de fumée. tu te souvenais, de cette adolescence chaotique, de cette absence de soutien de ta propre famille. de ces rendez-vous intempestifs chez un psychologue incapable de comprendre ce que tu pouvais bien ressentir. cette descente aux enfers que tu n'avais pas réussi à maîtriser. tu t'étais renfermée, tes amis t'avaient abandonnée et laissée seule face à ce désarroi. alors t'avais fait la seule chose dont t'étais capable, t'avais continué d'écrire. tu t'étais plongée corps et âme dans la seule chose qui te faisait du bien, à tel point que t'avais même réussi à gagner un concours d'écriture, que t'avais eu la chance de publier tes états d'âme. sous couvert d'un pseudonyme, t'avais imité la signature de tes parents pour faire la seule chose dont t'étais capable ; tenter de réaliser tes rêves à la sueur de ton front. t'avais pris ta décision, t'allais faire ta vie sans eux, arrêtant d'espérer leur présence à tes côtés, et leur soutien.


tu mets un point final au dernier jet de ton futur livre. tu poses tes rêves sur papier et créé des histoires fantaisistes où tu es ta propre héroïne. ton imaginaire voyage sur le chemin du bonheur alors que toi, tu stagnes, raccrochée à ce qu'il te reste ; le sentiment d'être seule, sans jamais pouvoir guérir. t'as pas vraiment d'espoir, t'as pas envie d'espérer, il faut dire. t'as fini par arrêter tes études pour te concentrer sur tes livres, tes histoires d'amour et de vie heureuse. tu continues d'avancer sans réellement savoir où aller. alors t'as déménagé, t'as décidé de changer de vie comme ces filles que tu décris dans tes histoires. t'as débarqué à busan, incertaine sur ce que l'avenir pourrait avoir à t'offrir. avec tes économies, t'as acheté un bar, t'en as fait ton nouveau cocon, ta bulle éloignée du temps. t'as envie de croire que ça pourrait t'aider à aller mieux, mais tu continues de douter. t'as même créé ta propre librairie, t'as rempli ces rayons de tes livres préférés, de ces histoires qui te font croire l'espace d'un instant que tout peut s'arranger. tu continues de poser sur papier tes sentiments les plus enfouis, tu gardes l'anonymat de cette vie passée, de celle que tu étais avant. tu ne t'approches pas trop près des gens de peur de te brûler les ailes, tu restes à l'écart de cette vie de pailettes en te contentant de ce que tu as, de ce que tu as pu créer de tes propres mains. t'aurais envie d'être enfin heureuse, mais tu sais toujours pas comment faire. alors tu laisses les jours défiler, tu laisses le temps passer, et puis tu attends. tu sais pas vraiment quoi, tu sais pas vraiment quand ça arrivera. mais qui sait, peut être qu'un jour, tout finira par s'arranger.