→ Mai 2014 Tu n'y crois pas, tu es devant ton ordinateur comme un con depuis deux heures à fixer l'écran comme si tu avais peur que le mail en face de toi ne s'évapore si tu osais cligner des yeux. "Jae Hyuk?" Ta mère, qui vient de rentrer des courses avec ton père. Tu les entends mais ne répond pas, comme en transe jusqu'à ce que ta mère pose une main sur ton épaule. "Jae Hyuk?" demande-t-elle d'un souffle inquiet. Tu tournes la tête et quand tu croises son regard, tu te lèves d'un bond et la prends dans tes bras et tu la serres, fort, fort, fort. Tu pleures, tu ris, ta mère est confuse mais elle rit avec toi car ce qui rend son fils dans cet état ne peut être mauvais. Tu la relâches avant de lui montrer le mail et là, c'est à elle de crier, de sauter dans tous les sens et d'appeler son mari en riant,
pleurant.

Monsieur Yang Jae Hyuk,
Nous vous offrons l'opportunité de rejoindre les Nexen Heroes dès la rentrée prochaine en tant qu'espoir de notre équipe [...]

→ Juillet 2017 “Qu’est ce que le docteur a dit? Tu peux jouer? Tout n’est pas perdu?” Tu esquisses un sourire face à l’interrogatoire de ta mère à peine sorti de chez le docteur. Ton père, à ses côtés, ne dit rien mais tu ne t'y trompes pas, tu peux voir l’inquiétude dans son regard. Après tout, il rêve d'une vie meilleure pour toi, loin de Busan et de son port. “Maman, ça va, je vais bien.” Physiquement? Possible. Psychologiquement? Peut-être pas. Tu forces un sourire sur tes lèvres. “C’est bon, j’ai la permission de doc pour reprendre les entrainements. Il m’a dit qu’au début c’était normal que je sois sous-performant mais que ça reviendrait avec le temps.” C’était un mensonge que tu tentais de faire avaler à tes parents mais surtout à toi-même. On ne t'avait pas dit que ça reviendrait avec le temps, on t'avait juste dit qu’il était possible que tu retrouves 100% de tes capacités ou au contraire, que tu ne pourrais plus jouer aussi bien, seul le temps le dirait. Ta main se balade vers ton genou droit, comme si cela allait changer quoi que ce soit, comme s'il pouvait devenir comme neuf. Ta mère sourit, visiblement soulagée et ton père se détend mais l’inquiétude est toujours là.
Le trajet de retour se fait en un clin d'oeil puis tu te retrouves seul dans ta chambre, entouré par le silence assourdissant. Ton genou commence à le lancer alors tu te diriges vers ton tiroir.Tu y sors une petite boîte et deux anti-douleurs se trouvent dans la paume de ta main. Peut-être que tu ne devrais pas, peut-être que tu devrais les jeter à la poubelle mais chaque douleur dans ton genou te rappelle l’échec que tu es et le futur que tu n'auras probablement pas alors tu fermes les yeux et les avales avec de l’eau. Aujourd’hui, tu continueras de prétendre que tu vas bien.

→ Octobre 2017 Tu ignores le bruit de la foule, tu ignores l'arbitre qui tourne autour de toi et de ton adversaire. Tu ne vois que le sourire confident de cet idiot qui pense qu'il t'a eu, que tu es à bout de souffle. Il fait peut-être deux fois ta taille mais tu es plus rapide, plus agile et plus efficace dans les coups que tu lui balances. Ce dont il ne s'est pas rendu compte, c'était que tu l'avais fatigué et qu'à présent, il était à ta merci. Sans attendre, tu lui donnes coup sur coup, ne lui laissant aucun répit. Au bout de trois minutes, il tombe au sol, K.O., et une fois de plus tu es victorieux. Tu n'arrives même pas à sourire, tu veux juste tes petites pilules pour te faire oublier la douleur.
On te donne ton argent, on t'encourage à continuer dans cette voie-là et tu sors, ne faisant qu'un avec la nuit. Busan est toujours réveillée à cette heure-ci alors tu préfères t'enfoncer dans les endroits sombres de la ville, là où tu as l'impression d'appartenir. Tu as joué au jeu de la Vie et t'as tout perdu, ne te laissant que l'obscurité comme compagne.