A grand coup de seringue dans la peau, de roulée entre les lèvres ou de poudre qui viennent scintiller son nez, Mila fuit la réalité. Elle s’enferme dans son monde, tel un enfant recroquevillé dans un coin sa peluche coincé entre le bras, elle est affreusement effrayée par ce qui se trouve en dehors. Elle a peur Mila. Elle craint ses propres souvenirs, elle craint ses propres amis, sa propre famille. Les paroles trop hautes, les bruits trop brusque, les cris surtout. Elle craint l’odeur du sang, l’atmosphère de la haine, le tête à tête avec la mort.

Rien ne la prédestinait à tourner ainsi. Issue d’une famille extrêmement fortunée, villa et entreprises éparpillées aux quatre coins du monde, elle n’a jamais manqué de rien. Bien élevée, diagnostiquée surdouée durant son enfance, acceptée dans une prestigieuse université à l’âge de 16 ans. Douce, discrète, attentionnée. La fierté de ses parents, mise sur un pied d’escale dans chacune de leur conversation, presque idolâtrée. Leurs grands mots la gênaient, elle n’aimait pas se faire remarquer. Elle est de celles qui restent dans leur coin sans un mot, de celles qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil. Elle n’était pas assez confiante pour s’imposer, trop secrète pour se faire une foule d’amis, beaucoup trop fragile et naïve pour voir quoi que ce soit arriver.

« Un jour tu verras Mila, je vais tous leur faire payer. » Cette phrase prononcée par son ancien meilleur ami dans les couloirs de l’université américaine résonne encore dans sa tête. Elle se voit, elle et son innocence, tourner doucement la tête vers lui. Elle lui sourit d’une douceur écœurant voulue rassurante, ne croit aucun des mots qu’il vient de prononcer. Du haut de ses dix-sept ans, elle imaginait ces paroles balancées sur le coup de la colère. Jason était fatigué par la persécution gratuite de ses camarades à son égard, épuisé d’être bousculé dans chaque couloir, désespéré par leur regard qu’il jugeait rempli de dédain. Elle pensait qu’il oublirai, ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Pas vrai ?

« T’as vu Mila, je l’ai fait. Regarde-les, tu savais qu’ils avaient de la matière cérébrale toi ? Tellement bien flingués ... » Le regard animé par la folie, la main conservée sur son arme à feu, il observe son œuvre. Du sang, des corps sans vies gisent partout. Une vue macabre et des cris d’horreur mais aussi de douleur auxquelles Mila ne peut échapper. Le dos collé au mur, coincée face à son meilleur ami devenu complètement fou, elle reste figée. Son cœur bat si fort qu’il semble prêt à sauter hors de sa poitrine, chaque centimètre de son corps tremble. Sa vue se brouille plus d’une fois par les larmes, les hauts de cœur ne sont pas rares. Elle n’ose pas bouger, elle craint même de respirer. « Pourquoi tu ne dis rien, Mila ? » Elle a envie de vomir, elle a envie de mourir. La gorgée serrée par la peur, elle ne peut répondre. Qu’aurait-elle pu lui dire après tout ? Elle n’aurait jamais imaginé que les choses prendraient une tournure pareille, elle n’aurait jamais imaginé qu’il était capable de faire une chose pareille. De sa main libre ensanglantée, il caresse sa joue laissant une trace de rouge sur cette dernière avant d’être soudainement plaqué au sol. Et puis, le trou noir.

Dès qu’elle le put, Mila retourna en Corée du Sud. Profondément choquée, elle se mua dans un profond silence. Ses parents tentant d’être compréhensif au vu de la situation ne la forçaient en rien à retourner à l’université ou à rencontrer des spécialistes. Ils se mirent à répondre à chacun de ses envies plus que de raison. Alors, lorsqu’elle demandait à s’éloigner un peu de tout cela en prenant un appartement à Busan, sa ville de naissance, ils acceptaient. Ils lui offrirent un magnifique appartement, renflouant son compte en banque sans jamais se demander ce qu’elle faisait de cet argent. La réalité les décevraient certainement ; Elle trouvait une issue avec la drogue. Tout y passait, de la dure à la douce. Cela lui permettait d’oublier, de faire taire ses craintes, s’ouvrir un peu plus aux autres. Elle voit en ces dernières une main qu’on lui tend. Une main tendue pour mieux lui enfoncer la tête sous l’eau en réalité …