« Shi Yoon, s’il te plait…. Ne le provoque pas ce soir… » Mon cœur se brisait face à sa supplique, mais comment pouvais-je dire non à ma mère ? Les traits tirés, les yeux embués, elle priait devant moi en espérant que son mari ne se montre clément. Le temps d’une soirée seulement, mais je voyais déjà les perles salées s’échapper du coin de ses yeux pour tracer des lignes humides sur ses joues. « Eomma, il faut partir ! Viens avec moi ! » Je la suppliais à mon tour, mais elle croyait en la rédemption d’un homme qu’elle aimait envers et contre tout. La porte claqua et me fit sursauter, instinctivement, je contractais mes muscles me pensant prêt à répondre s’il venait à user de ses poings, mais je me leurrais. « Dégage ! » lâcha-t-il durement. Je voyais ses traits se crisper davantage et ses sourcils se froncer alors que la colère ravagerait encore mon père, et je décidais de m’effacer. Ses mots étaient loi dans une maison gangrénée par la violence et le deuil, et j’abandonnais l’idée de lui tenir tête… une fois de plus. Je fuyais lâchement les lieux pour laisser à ma mère le soin de le calmer, car je savais que ma simple présence pouvait le faire exploser. J’attrapais alors mes affaires, m’enfonçant dans l’obscurité de la nuit accompagné par la lune comme seul témoin. Et je me dirigeais vers le seul qui m’ouvrirait sa porte sans condition. Mon poing s’abattit faiblement sur le panneau avant qu’il ne pivote pour laisser apparaître le visage chaleureux d’un frère plus qu’un ami. « Eli… Est-ce que je peux squatter cette nuit ? Désolé mec, j’ai oublié mes clés. » mentis-je. J’ignorais s’il avait compris que les cris qu’il avait toujours entendu en face de sa porte étaient la source d’un combat quotidien, ou s’il pensait simplement qu’il s’agissait d’un moyen de communication caractéristique de notre famille. Mais je ne posais pas la question, m’engouffrant dans un appartement que je connaissais bien, m’avançant jusqu’à la chambre de mon meilleur ami et qui portait visiblement les traces d’une rencontre récente. « Ah… tu as de la visite ? »

« Je veux du pain perdu » n’avait-elle cessé de s’agiter une fois que nous étions rentrés à la maison. Si j’avais cru que ma journée de repos aurait consistée à me prélasser dans mon lit tel un chat au soleil, c’était sans compter sur ma petite sœur qui avait d’autres plans pour moi. Elle m’avait tiré dans toute la ville, m’amenant à faire du shopping et à lui servir de chauffeur. J’avais parfois l’impression qu’elle se servait de moi pour combler le moindre de ses désirs, et moi, je l’encourageais en répondant à la moindre de ses demandes. Et avec le sourire qui plus est. Quel bel imbécile j’étais ! J’avais enfin pu être tranquille après l’avoir déposé chez une amie chez qui elle avait décidé de passer la nuit. Et moi, je pouvais enfin profiter un temps soit peu des quelques heures qui restaient de mon congé. Je devais m’être assoupis dans le canapé alors que je me changeais, car je me réveillais presque en sursaut en entendant un claquement à la porte d’entrée. Je secouais la tête, me passant une main dans les cheveux pour me réveiller, jetant un coup d’œil à l’horloge. « Qui ca peut être à cette ? » Torse nu, je m’avançais vers la porte d’entrée que j’ouvris tombant sur un ami devenu un frère il y a des années de cela déjà. Mon visage s’illuminait en un clin d’œil. J’avais beau être crevé, j’étais toujours heureux de voir Shi Yoon. « Fais comme chez toi ! » m’exclamais-je tout en me bougeant pour le laisser pénétrer à l’intérieur de l’appartement. Je claquais la porte derrière nous, me frottant à nouveau les yeux. « mmmmh ? Non je suis seul. » Répondis-je sans vraiment comprendre cet intérêt soudain, oubliant que sa propre sœur était venu me voir la veille. Un secret qui n’en était pas vraiment un. Si nous n’en parlions pas, nous ne cherchions pas à le cacher non plus, mais les circonstances étaient telles que ca en était devenu un quotidien depuis peu. « Joo Hee m’a laissé une scène digne d’un champ de bataille avant de partir, mais elle n’est pas présente, elle est chez une amie, on est qu’entre hommes ce soir. » Le rassurais-je d’un sourire avant qu’il ne s’imagine pouvant être une quelconque gêne.

Je n’avais pas réfléchi, porté par un instinct qui me guidait automatiquement chez celui qui m’avait toujours offert un refuge sans le savoir. Chaque dispute, chaque bataille qui enflait malgré moi m’amenait à quitter mon foyer pour retrouver le calme d’une demeure plus calme et dans laquelle j’aimais me retrouver. Je remarquais sans relever la tenue de mon meilleur ami, son buste dévoilé alors que je passais à côté de lui pour m’engouffrer dans un appartement que je connaissais bien. Mais si d’ordinaire je savais prendre mes aises, je sentais une aura différente émaner des pièces dans lesquelles j’avais l’habitude d’errer. Je ne pus retenir la réflexion qui glissa sur mes lèvres comme une évidence. Depuis des années que je le connaissais, je n’ignorais pas qu’il passe quelques-unes de ses soirées en agréable compagnie, mais jusqu’alors je n’avais jamais été témoin d’une pièce qu’il avait laissé en désordre. Je ne voulais pas le relever, mais inconsciemment ma mémoire rassembla quelques fragments et fit correspondre les quelques bribes de souvenirs pour que je sache reconnaître les tissus gisant encore sur le sol. « Joo Hee ? Je vois. » J’acceptais sans rechigner l’explication qui vint contenter un esprit déjà torturé. « Désolé de débarquer comme ça. T’as pas une bonne pizza ? Je sors d’un match, et je meurs de faim ! » Je voulais me contenter de passer une soirée banale, mais je ne savais pourquoi, ce vêtement qui trônait sur le sol de sa chambre ne parvenait pas à sortir de mes pensées. J’étais persuadé l’avoir déjà vu, mais ne parvenais pas à retrouver qui, ni même quand. Jusqu’à ce que je ne repense à celle que je considérais comme ma petite sœur, et avec qui j’avais déjeuné la veille. « Eli ? » tentai-je. « Tu n’aurais pas vu Seol dernièrement ? »

Je jetais un coup d’œil au désordre qui régnait dans l’appartement, pestant intérieurement après Joo Hee pour m’avoir laissé un tel champ de bataille avant de s’éclipser. Je venais de comprendre à l’instant que c’était pour cette raison qu’elle avait eu cette soudaine envie de dormir chez une amie. Elle n’avait pas envie de rentrer pour subir ma colère qu’elle savait éminente, bien qu’éphémère. « T’inquiète, t’es ici chez toi, tu viens quand tu veux, tu sais bien. » répondis-je machinalement comme une phrase que je pensais déjà ancrée dans son esprit. Je m’étirais les bras en l’air, baillant sans aucune retenue. « C’est moi qui m’excuse, je me suis assoupi sur le divan. Joo Hee va finir par me tuer. » Entendant sa requête, je me dirigeais déjà vers le téléphone pour passer commande. Je lui lançais la liste des pizzas disponibles au pizzaiolo sur le divan. « Dis moi laquelle tu veux et je téléphone. » Sur ma route, je me penchais pour ramasser un t-shirt et jaugeant le sol pour le catapulter dans la direction de la chambre de ma sœur. Je me retournais vers mon vieil ami alors que celui-ci me questionnait sur ma récente entrevue possible avec la femme qu’il considérait comme sa propre sœur. Je me passais une main dans les cheveux, les ébouriffant au passage. Il était tant que je fasse un saut rapide au coiffeur du coin. « Seol ? mmmmmmh… » Réfléchis-je quelques secondes, la fatigue me possédant encore. « En effet, elle est passé pas plus tard qu’hier, pourquoi ? Tu la cherches ? » Demandais-je sans me douter une seule seconde ce qui se trainait dans la caboche du brin. Le portable à la main, je me laissais à nouveau tomber dans le canapé du salon. « Alors t’as choisi ? »

Je m’y sentais chez moi, je n’étais pourtant qu’un invité et je n’avais qu’à faire quelques pas pour retrouver cet appartement qui était mon véritable foyer, mais je me sentais serein et apaisé entre ces murs qui appartenaient à mon meilleur ami. Néanmoins, le malaise vint s’insinuer dans mes veines à mesure que j’avançais en ces lieux que je connaissais par cœur. Je ne compris pas tout de suite ce qui pesait sur ma conscience jusqu’à ce que le puzzle se mette en place. Toutes les pièces n’avaient pas retrouvé leur place, mais je posais la question qui désormais me brûlait les lèvres et que j’aurais préféré ignorer. L’excuse de Joo Hee était-elle réelle ? Où mon esprit méfiant me jouait des tours ? Pourquoi Seol viendrait-elle ici ? Joo Hee me souffla ma conscience. Peut-être la connaissait-elle, peut-être étaient-elles amies. C’est ce que je m’astreignais à croire… « Ah, euh non, j’ai mangé avec elle hier et je crois qu’elle a le même t-shirt que ta sœur. » Un déni savamment mené et prononcé, un déni dans lequel je préférais m’enfermer plutôt que d’imaginer la raison qui l’aurait poussé à enlever ses vêtements. « Hm ? Une Reine et une Cannibale ça te va ? J’ai faim ! » Je me forçais à me concentrer sur autre chose, mais je ne pus retenir mon regard de glisser sur le tissu échoué sur le sol de la chambre de Joo Hee. Et je ne pus ignorer le schéma qui se dessinait dans mon esprit. « Eli… s’il te plait dis-moi que c’est le t-shirt de ta sœur et pas celui de Seol… » C’était une torture que d’imaginer celle que je considérais comme ma sœur, nue dans la chambre de mon meilleur ami.

Je ne comprenais pas le malaise qui entravait le sourire de mon meilleur ami. Je l’observais de mon regard ensommeillé, alors que mon esprit était encore embrumé, ne captant pas toute de suite toutes les subtilités de la situation. Son empressement et sa fixation sur ce t-shirt attirait mon attention. Vu l’obsession qu’il portait à ce vêtement, j’essayais de me concentrer sur sa provenance, sans encore comprendre là où il voulait en venir. J’attrapais le haut entre mes doigts, l’observant plus attentivement, des traits concentrés se dessinant sur mon visage. Je secouais la tête de gauche à droite brièvement. « Je ne me souviens pas avoir déjà vu Joo Hee avec ce t-shirt sur le dos. » Je haussais les épaules avant de le tendre vers mon ami. « Vu ton insistance envers lui, tu peux le donner à ta sœur si tu penses qui lui plairais, j’en achèterais un autre à la mienne. » déclarais-je inconsciemment sans vraiment me rendre compte de ce que je faisais. La fumée inhalée la veille dans un incendie à proximité avait sans doute du grillé quelques neurones de mon cerveau. Très vite, l’appel de mon estomac surpassait celle de la pensée, abandonnant le vêtement sur le sol de la chambre de Joo Hee, je commandais les envies de pizza de Shi Yoon. Je fronçais les sourcils alors que je raccrochais après avoir pris commande. « Mais c’est une obsession, ma parole ! » Je partis rechercher le t-shirt, et alors que je poignais à nouveau dans le bout de tissus, les souvenirs de la veille me revinrent. J’écarquillais les yeux en comprenant où Shi Yoon voulait en venir. Ma relation particulière avec Seol n’avait jamais vraiment été un secret, mais il était vrai que nous n’en avions jamais parlé autour de nous, préférant garder nos ébats pour nous. Je soupirais, ne me voyant pas mentir à mon meilleur ami. Je me tournais lentement vers lui, déposant le haut soigneusement plié sur le siège du canapé. « Il se pourrait, qu’effectivement, ce soit le sien. » murmurais-je appréhendant la suite. Dans une mesure de sécurité, j’étais resté derrière le divan qui me séparait du jeune homme.