Un long soupire s’échappe de ma bouche tandis que je pince les lèvres en envoyant un regard sombre à la populace qui squatte Poppy ce soir. Ça n’a jamais volé bien haut, mais là c’est le summum. Mon âme meurtrie et en peine s’effrite sur le comptoir poisseux de mon bar et j’ai arrêté d’essuyer les verres depuis bien longtemps. Jusque là, j’avais jamais vraiment compris ce que ressentaient ces nanas cocues jusqu’à l’os. J’veux dire, c’est plutôt monnaie courante de nos jours. J’dis pas que j’ai des fréquentations merdiques mais c’est pas limite. J’suis pas tout rose non plus, j’pensais en avoir le courage, tenter le coup pour une fois, retenir mes ardeurs polygames et vendre mon âme au diable qu’est Mona. J’revois ces photos d’elle nue et ces échanges corrosifs avec un autre gueux. Un gueux n’étant absolument pas moi. Ce jour-là, j’ai bien cru que j’allais faire flamber Oryukdo et étaler ma vengeance sur plusieurs générations puis j’ai décidé de m’enfermer chez Poppy et faire comme si de rien n’était. Enfin presque. Mona étant absente pour x raison, j’avais de quoi me morfondre dans mon coin en m’imaginant les scènes de débauches les plus dégueulasses, mettant en scène ma femme et un illustre bâtard que je démonterait en pièces à l’occasion.

Les yeux rougis par l’alcool, j’observe ma serveuse du coin de l’oeil qui tente de maintenir la baraque à flot tandis que moi, avachis derrière mon comptoir, je viens poser mon menton dans le creux de ma main et clos mes paupières un court instant pour faire taire ces innombrables voix qui me turlupines. La porte de Poppy couine et une musique de suicidaire s’engage dans les enceintes rouillées. Je bouge pas, parce que j’en ai pas envie, parce que je suis fatigué, parce que j’ai les boules, parce que tout me fais chier et par-dessus tout, parce que je suis saoul. Des bruits de pas à travers la foule, ça doit sûrement être mon imagination, je ronchonne en ouvrant les yeux pour attraper mon torchon crade, me demandant s’il serait possible d’essuyer la crasse de mon âme avec. Le cuir d’un des tabourets craque et je lève les yeux vers une tête brune familière, un visage poupin dévasté par les aléas de la vie et une consommation de psychotropes sûrement trop fréquente.

« ça fait longtemps. »

Ma voix détonne dans l’atmosphère sombre de Poppy et je plonge mon regard dans celui de ce fantôme du passé. Je sais pas vraiment pourquoi ni comment, mais j’arrive à ressentir ce mal-être qui la consume, il se ligue au mien comme étant magnétisé par la volonté de crever pour en finir avec cette vie de chien.

« Lilith. »

Je me souviens de son uniforme de lycéenne à l’époque qui détonnait vachement avec l’uniforme militaire qu’on portait, Chuck, Andy et moi. J’aurai voulu sourire, mais j’y suis pas parvenu. Pourtant, l’espace d’un éclair, Lilith fut mon salut en cette triste nuit de mauvaise augure.

gabi le loup

mon problème avec poppy la licorne qui pisse c'est que je risquais de voir chuck. mon problème avec chuck c'est que j'avais cette période au milieu de mes dix-sept ans où j'avais le béguin pour lui -et mon dieu quel mot dégueulasse en passant- mais pas aussi dégueulasse que cette période que j'ai décidé d'oublier. étonnamment quelques mois sont passés et j'ai fini par passer à autre chose moi aussi. ahah ou plutôt j'ai décidé de passer à autre chose TOUTE SEULE car je n'ai jamais rien osé lui dire de voix vive. nooon, mon truc à l'époque c'était les lettres. je vous laisse imaginer le carnage. j'en ai parlé à eve car je ne savais plus vers qui d'autre me tourner à défaut d'avoir des réponses venant de buddha. eve en a parlé à gigi. enfin vous connaissez le concept du téléphone arabe quoi. je pense que cette même année où je me suis initiée à la magie pour essayer de me débarrasser de la mémoire de chuck concernant les faits. mais il n'a jamais rien oublié. et il continue à ce jour de me rappeler à quel point j'étais niaise à l'époque. niaise et désillusionnée... j'aime ce bar mais je n'aime pas chuck pour tout résumer. je ne sais pas ce qu'il se passe ce soir, si c'est ma dose de xanax qui parle mais je suis fatiguée. mentalement fatiguée de faire des efforts. même les efforts les plus minimes comme passer à côté de ce bar qui reste l'un des plus proches...- enfin restait. car après tout je vis à noksaek maintenant. dans une coloc avec littéralement des chiens- chiens dont j'ai peur soit dit en passant. mais tout le monde s'en fiche j'imagine ? pourquoi est-ce que je vais toujours creuser dans les détails les plus inutiles de toutes façons ? je pousse la porte et me retrouve à nouveau plongée dans cette ambiance représentative de chez poppy où tout le monde si fiche de tout et je m'y sens bien étrangement. j'appuie mon menton dans mes mains et regarde autour de moi avant de lever la tête vers cette voix familière qui prononce mon prénom. hyuk. le proprio du poppy. probablement le plus calme du trio. andy est une commère de la même espèce que chuck qui ne sait pas que les blagues les plus courtes sont les plus drôles. hyuk en contrepartie a toujours été plutôt cool d'une certaine façon ? et ce soir je ne peux pas m'empêcher de remarque qu'il n'est pas aussi souriant que ce que j'ai pu voir dans le passé. je met du temps à réagir, même répondre «une éternité même » je dis avec un faible sourire qui s'efface doucement alors que je dessine des lettres indéchiffrables sur la surface lisse du bar à l'aide de mon index «j'ai entendu dire que tu faisais les annonces de mariage, tu fais aussi les pré-funérailles ? » il se passe tout le temps trop de choses chez poppy de toutes façons

gabi le loup