On n’a pas tous la chance de vivre dans un environnement chaud et confortable néanmoins à défaut de ne pas avoir énormément d’argent pour subvenir à ses besoins, Sayuri, elle, avait l’amour de ses parents. Peu importait à quel point c’était compliqué pour eux, ils s’étaient toujours démenés pour son bonheur. Elle n’avait jamais douté des difficultés que tous deux avaient du traverser avant sa naissance et même après d’ailleurs. Pourtant ils ne le lui avaient jamais reproché, lui souriant toujours comme si elle était le plus beau cadeau qu’ils avaient pu avoir. Parfois, c’était vrai, ils lui arboraient un sourire plus triste, plus désolé à cause de la vie qu’ils lui imposaient. Hors, ça allait, elle non plus ne leur en avait jamais voulu... Elle avait hérité du courage et de la force de son père ainsi que l’intelligence et la douceur de sa mère. Evidemment, au plus profond d’elle, Sayuri était également quelqu’un de sensible, elle n’était pas invincible et à elle aussi, malgré ce sourire qui étirait ses lèvres, il y avait des tas de choses qui l’affectaient. Ce n’était pas tous les jours faciles... Principalement lorsque si jeune, elle devait combattre le froid pendant l’hiver, supporter la faim à cause du peu de revenus qu’ils avaient afin d’acheter de quoi manger. Elle ne disait rien, elle ne se plaignait jamais mais c’était particulièrement difficile, autant pour elle que pour ses parents qui culpabilisaient de ne pas pouvoir lui offrir mieux que ce qu’elle avait. Elle leur devait beaucoup et si elle ne leur avait jamais rien reproché c’était justement parce que quoi qu’il ait pu arriver, ils l’avaient toujours fait passer avant leur propre personne.

C’était certainement grâce à eux si elle surmontait les problèmes à l’école, si elle supportait les critiques et qu’elle essayait de ne pas se laisser abattre malgré les séquelles que ça laissait sur son âme. Elle était pauvre et parce que les enfants, les adolescents, sont stupides, on n’hésite pas à faire du mal sans se rendre compte de la douleur qu’on imprègne dans le cœur d’un individu... On la critiquait pour son sac d’école bas de gamme, pour ses chaussures abîmées qu’elle n’avait pas changé et cela valait aussi pour son uniforme. Plusieurs fois on l’avait poussé dans la boue, arrosé avec le tuyau des toilettes, renverser ce bentô que sa mère avait soigneusement préparé pour elle hors la jeune fille n’avait jamais riposté. Ce n’était pas l’envie qui manquait ceci dit, ce n’était pas de la faiblesse non plus au vue des regards qu’elle leur lançait à chaque fois, c’était parce qu’elle ne souhaitait pas ennuyer ses géniteurs.

Sayuri était une personne mature pour son âge, plus que ses camarades de classe c’était certain. Pendant qu’eux s’amusaient grâce à l’argent de papa et maman, elle, elle étudiait sérieusement ou travailler afin d’aider ses parents. Travailler était évidemment un grand mot puisque n’étant pas majeur, ce n’était pas autorisé cependant si elle donnait un coup de main aux habitants de son quartier, on la récompensait souvent de quelques billets.
Est-ce qu’elle avait de grands rêves ou ne serait-ce qu’une passion ? Oui. Elle adorait le dessin, la peinture, tout ce qui rapportait de près comme de loin à l’art hors tout ceci coûtait beaucoup trop cher alors elle se satisfaisait d’un crayon et d’un papier. Une passion qui lui permis de la rencontrer... Cette fille qui était si différente d’elle et qui allait devenir sa meilleure amie. Tous les opposaient, vraiment, et pourtant...

Haruna était belle. Haruna était riche et populaire. Mais Haruna ne prêtait pas attention au rang social... Elle se fichait que Sayuri n’ait pas les moyens de s’acheter une nouvelle paire de chaussures ou dieu ne savait quoi d’autres. Elle n’était pas comme les autres qui la jugeaient et elle avait été intriguée par ses dessins qui se trouvaient sur la table de sa camarade. C’était au début de leur dernière année de collège, la première fois où elles se retrouvaient à partager la même classe. Si Sayuri s’était montrée méfiante au départ, leur amitié grandit rapidement au point où plus personne n’osait venir l’embêter ou la déranger. Grâce à Haruna, elle avait pu finir sa scolarité tranquillement et rien n’aurait pu présager que sa vie puisse être pire que ce qu’elle avait déjà surmonté.
Bien qu’elle n’ait pas d’argent, bien que sa meilleure amie lui avait proposé à grand nombre de reprises de l’aider, la jeune fille avait toujours refusé de profiter de sa richesse. Elle ne lui avait jamais rien demandé et même, pour elle, pour ses anniversaires ou pour noël, Sayuri travaillait toujours plus afin d’acheter un beau cadeau à sa camarade. Elles se connaissaient depuis si longtemps, s’étaient promis tant de choses pour leur avenir que pas une seconde, elle n’aurait pu imaginer que Haruna puisse la trahir. Elles étaient si soudées, elles s’étaient soutenues, avaient pleuré, ri ensemble mais certainement que la vie ne manque jamais de surprises...

C’était vrai, elle l’avait remarqué ces derniers mois que sa meilleure amie changeait, qu’elle était plus distante et qu’elle semblait plus occupée ailleurs. Pourtant, elle ne s’était jamais inquiétée de leur amitié. Elles avaient grandi depuis leur année de collège, elles avaient terminé le lycée et si Haruna avait poursuivi son avenir en entrant dans une agence de mannequinat comme sa mère le désirait, Sayuri travaillait dans l’épicerie de son quartier. Evidemment que c’était plus compliqué de se voir tous les jours, surtout qu’elle était au courant pour son amie, celle-ci avait un petit copain... Petit copain que la vendeuse n’avait jamais réellement apprécié, elle n’avait jamais réussi à lui faire confiance et ça avait valu de nombreuses disputes avec l'autre jeune femme. Peut-être que celle-ci était trop amoureuse, trop influençable au point d’en oublier ce qui était le plus important... Elle n’était plus la même depuis qu’elle l’avait connu. Et lorsque celui-ci l’avait contacté en panique pour lui avouer qu’il avait commis l’irréparable, Haruna n’avait pas hésité à se précipiter pour l’aider. Elle aurait du lui dire de se dénoncer à la police, qu’elle lui trouverait le meilleur des avocats, qu’elle le soutiendrait cependant effrayée à l’idée de le perdre, effrayée de l’image que ça ferait d’elle, elle avait menti. Ce jour où on était venu les interroger à propos de ce corps qui avait été retrouvé, plutôt qu’avouer la vérité, plutôt qu’expliquer que tout ceci n’était qu’un accident, une dispute trop violente entre son petit ami et la victime, elle avait dénoncé sa meilleure amie. Elle était la cible parfaite... Elle était pauvre, elle avait déjà volé par le passé et c’était facile de déclarer qu’elle avait toujours été jalouse d’elle.

Haruna avait joué la comédie, avait raconté que cela faisait quelques temps qu’elle essayait de mettre des distances avec sa camarade parce qu’elle avait réalisé qu’elle avait des vues sur son petit copain, qu’elle commençait à lui réclamer de plus en plus de l’argent aussi... Elle n’avait pas hésité à se mimer apeurée à l’idée d’être la prochaine victime. Tout avait visé Sayuri. Et parce que la réputation de sa meilleure amie était bien plus grande que la sienne, on n’avait pas cherché à comprendre. On avait juste besoin d’un coupable et encore une fois, elle semblait être la femme parfaite pour cela. Personne dans son entourage n’avait saisi ce qu’il s’était passé... Personne n’avait compris pourquoi on l’avait arrêtée puis enfermée derrière les barreaux sans lui donner l’opportunité de s’expliquer. La jeune femme se souvenait encore aujourd’hui du choc qu’elle avait éprouvé en visionnant le témoignage de celle qu’elle avait toujours considéré comme sa meilleure amie. Elle n’en avait pas cru ses yeux, ni ses oreilles et le policier qui l’interrogeait avait beau l’insulter, la bousculer pour qu’elle réponde à ses questions, Sayuri était restée muette. Elle savait que Haruna avait changé mais elle n’aurait jamais pensé à ce point. Elle lui en voulait et elle n’avait malheureusement rien pu dire... Si elle l’avait fait, on ne l’aurait pas cru. Entre une fille pauvre et une gosse de riche, c’était toujours celle avec le plus gros porte monnaie qu’on croyait...
Sa camarade ne lui avait jamais rendu visite. Après l’avoir plongé dans la misère, elle ne l’avait pas aidé à s’en sortir... Et même si elle répétait à chaque fois qu’elle était innocente, sa parole n’était jamais suffisante pour la plaider non-coupable. L’avocat qu’elle avait n’était qu’un commis d’office, elle n’avait malheureusement pas les moyens de se payer quelqu’un de plus compétent. Et pourtant... Celui-là non plus, elle ne le remercierait jamais assez parce qu’en plus de sa famille, il était l’un des seuls à l’avoir cru et à s’être battu jusqu’au bout afin de la soutenir.  

La vie en prison, elle ne la souhaitait pas à personne. Et non, ce n’était pas parce qu’elle était mélangée avec des femmes qu’il n’y avait pas de violence, qu’il n’y avait pas de conflit et qu’on la laissait tranquille. Hors, à la différence de lorsqu’elle était à l’école, Sayuri était beaucoup moins docile. Ici, elle se défendait. Du mieux qu’elle le pouvait. Si elle se montrait faible, elle n’en sortirait pas vivante alors elle n’avait pas d’autres choix que d’essayer de se faire une place, de prouver que si on l’attaquait, elle aussi, elle savait mordre. Autant dire que la prison avait forgé son caractère, qu’au plus profond d’elle-même, cette douceur qui la catégorisait auparavant avait commencé à s’estomper... Peut-être avait-elle oublié ce que c’était. Dans la vie, ce sont toujours les plus forts qui gagnent, ceux qui ont le plus de pouvoir et cette leçon là, elle n’avait eu d’autres choix que de l’accepter.

Deux ans plus tard, elle fut finalement libérée grâce à son avocat qui était parvenu à prouver son innocence, permettant à l’enquête d’être ouverte de plus bel. Deux ans de pures calvaires mais deux ans qui firent d’elle une nouvelle femme. La rancune qu’elle éprouvait envers son ancienne meilleure amie, elle n’avait jamais disparu et elle aurait souhaité détruire son existence comme cette dernière avait pu le faire néanmoins la concernant, Sayuri n’en fit rien. Elle passa tout d’abord quelques mois dans sa maison avec ses parents avant de déménager pour la capitale grâce aux économies qu’elle avait sur son compte mais aussi aux indemnités qu’elle avait touché.
En prison, elle avait croisé des mauvaises personnes mais elle avait aussi fait de belles rencontres, des femmes qui n’avaient pas hésité à se tenir de son côté, qui l’avaient aidé... Et lorsqu’elle songeait à ceci, elle pensait principalement à sa codétenue avec qui elle avait eu de nombreuses discussions. Sayuri se souvenait de chacune des histoires que la prisonnière lui avait conté et elle s’en était inspirée. Ce n’était pas en étant sympathique qu’elle réussirait dans l’avenir... Le dicton dit que l’argent ne faisait pas le bonheur seulement c’est complètement faux. Parce que c’était son manque d’argent qui l’avait enfoncé dans l'obscurité... Et elle avait développé une haine particulière pour tous ses riches qui profitaient sans scrupule de leur richesse, qui était libre de tout crime. Elle les détestait. Alors oui, elle avait voulu tenter une fois... Voler leur argent. Après tout, elle était intelligente, elle avait de l’imagination et ce n’était pas si difficile que de jouer la comédie. Des choses inspirantes pendant qu’elle était enfermée, la jeune femme avait pu en voir des tas et ayant une excellente mémoire, elle n’en avait rien oublié.

Cet homme qu’elle avait ciblé, ce fou persuadé qu’il pouvait avoir toutes les femmes à ses pieds parce qu’il était milliardaire, grâce à ses manigances, elle avait su lui prendre la moitié de son argent sans qu’il ne se rende compte de rien. A partir de là, ce fut un déclic. Elle allait devoir se former, s’entraîner et continuer... Parce que ce sentiment de victoire était glorifiant, comme une vengeance personnelle et aussi ainsi, elle pourrait donner une meilleure vie à ses parents. Hors pour cela, il fallait également qu’elle se fasse une place au sein de la société... Cela prendrait du temps mais déterminée, elle y parviendrait. Son principal objectif était si différent autrefois... Dans le fond, même si elle faisait ceci pour l’argent, c’était plus avant tout parce qu’elle ne supportait pas tous ces gens riches et arrogants.
Au fil du temps, Sayuri progressa de plus en plus, arnaquant chacun, que cela soit homme ou femme, elle disparaissait toujours après s’être emparée de tout leur argent. Et aucun d’entre eux n’était en mesure de décrire son visage correctement parce qu’elle n’était pas dupe au point de se montrer toujours sous le même « costume ». Elle interprétait des rôles, hors de question de dévoiler qui elle était réellement.

La vraie Sayuri était mangaka mais dans l’anonymat. Chaque bouquin qu’elle dessinait, qu’elle écrivait était vendue sous un pseudonyme et personne ne connaissait le visage qui se cachait sous cette identification. Le point positif, elle avait su comment mettre à profit sa passion cependant c’était également le seul moyen qu’elle avait trouvé afin de se faire un nom dans la société. Et à partir de cet instant là, ça avait été plus simple pour elle d’envoyer de l’argent à ses géniteurs sans que personne ne remette en question ses faits et gestes.

La routine avait commencé à s’installer, la jeune femme faisait ce qu’elle faisait mais est-ce que ça la rendait plus vivante ? Pas spécialement. Certainement qu’une partie d’elle était restée pour toujours dans cette cellule qui l’avait privée de liberté pendant deux longues années. Elle n’était même plus capable de faire confiance en qui que ce soit... Les liens sont futiles. Ils sont si difficiles à construire mais tellement faciles à détruire. Plus rien ne pouvait la toucher, elle était déjà au fond. Surtout pas ce garçon qui l’avait croisé et qui avait tenté de l’arnaquer. Pas de chance pour lui, il était tombé sur la mauvaise personne et il avait du s’en mordre les doigts lorsque la demoiselle était celle qui au final était parvenu à l’escroquer. Si on lui avait dit à cette époque qu’elle ferait équipe avec ce même type, elle n’y aurait probablement pas cru... Pourtant, après avoir croisé son chemin à plusieurs reprises, c’était ce qui avait fini par arriver. Il se proclamait médium, elle n’y croyait pas le moins du monde et elle n’était pas certaine que son marché fonctionne de cette manière. C’était ainsi que l’idée leur était venue. Après tout, Sayuri était douée pour récolter des informations, pour fouiner là où il ne le fallait pas, pourquoi ne pourrait-elle pas s’informer sur les clients de son partenaire et lui donner tout ce qu’elle savait ? Petit à petit, leur manigance commença à porter de ses fruits et les clients affluaient de plus en plus. Ils partageaient la somme à chaque fois et bien qu’elle ignorait si elle pouvait lui faire confiance ou non, elle n’avait pas hésité à le rejoindre en Corée. Ce n’était pas que lui... C’était aussi un moyen comme un autre de considérer cela comme un nouveau départ, oublier les traces de son pays natal puis pourquoi pas, essayer de se reconstruire.