L'Histoire c'est une frustration adolescente traduite par le refus d'une homosexualité potentielle. on lui donne seize ans lorsqu'il est à l'aube de sa vingtaine : les premières joies de la majorité, les premiers émois face aux actes qui étaient alors prohibés par des parents et, enfin, le terrain de jeu de la curiosité qui s'offre alors sans limite aucune. ses mains glissent, explorent, palpent ces hanches marquées ; elles remontent sur cette poitrine bombée. son bas-ventre ne frétille aucunement, et les peurs viennent le saisir à la gorge. il pousse le vice, les vêtements tombent et bien vite comblent le faible espace d'une habitation mobile. il ne semble pas sensible à cette œuvre d'art qui se dresse face à lui : peut-être ne l'a-t-il pas assez comprise ? tourbillon de gestes, de mots, de maladresse primaire et actes insensés. ses doigts se perdent au plus sacré, son corps se couvre d'une sueur mensongère et au moment fatidique où sa gorge s'offre au plafond dans un râle amer, c'est un autre visage qui apparaît sous ses paupières closes. des traits qu'il comprend bien davantage, qu'il admire et contemple comme la plus précieuse des œuvres : des traits bien moins féminins. souffrance, remises en questions, peurs et pleurs ont accompagné cette nuit qui se devait d'être l'une des plus belles. nelu n'est sans doute pas aussi hétérosexuel qu'il s'en vanterait de l'être, mué par une peur envers sa propre nature.

il se lève alors et, en quelques pas, a déjà gagné le tiroir de la cuisine. il y tire un paquet de cigarettes, le même qu'il avait acheté un mois auparavant, s'assoit à l'extérieur pour contempler la voûte céleste hypnotisante. il n'allumera finalement jamais ce tube bicolore criminel, refusant d'aspirer entre ses lèvres roses une fumée chargée de souvenirs. ce sont des marlboro. il y a un an encore, il passait de l'une à l'autre avec l'aisance d'un fumeur expérimenté, emplissant le cendrier du néon rouge par ses seuls mégots. seule bouffée d'air, aussi consumée fut-elle, en ce lieu clôt.

le néon rouge, un espace de débauche plus important encore qu'il ne le paraît déjà. un bar trouvant sa clientèle parmi les plus dérangés, au sein de cette part de la population qui ne vit que pour l'amour des corps et non pas celle de la morale. il n'avait que dix-huit ans lorsqu'il y fut embauché en tant que strip-teaseur dans l'espoir d'amasser suffisamment pour enfin conjuguer les frais de scolarité avec ceux de la vie quotidienne. son coréen charme, ses mots roulent sur sa langue avec l'accentuation des langues étrangères, il n'est pas un sang pur, c'est un  « bâtard » comme son patron se plaisait à le nommer. son père est coréen, sa mère est roumaine, il n'apprendra le coréen que lors de son adolescence. une simple cigarette, et toujours les mêmes souvenirs nauséabonds qui retournent son estomac déjà malmené par la prise de conscience.

il retourne sur son lit, attrape la bouteille de jus de pomme à portée de mains ; un ricanement amer lui échappe. il est un enfant prisonnier d'un corps mature, n'a jamais supporté les jus d'agrumes bien trop puissants pour son palet. d'aussi longtemps qu'il se souvienne, il a toujours exécré les agrumes, forçant ses parents à payer les meilleures marques de jus de pommes lors des courses familiales du samedi. jusqu'à ce qu'il ne quitte le domicile à peine majeur pour rejoindre son pays d'appartenance profonde, un endroit l'ayant toujours fasciné, son pays de naissance. un pays qu'il a idolâtré jusqu'à ce que le désespoir financier le pousse à entrer dans ce club trop particulier pour sa personne. ballet funeste de souvenirs mortels.

parmi le personnel du néon rouge se présentent les strip-teaseur, mais l'arrière du lieu est réservé à une débauche plus marquée. libertins, échangistes, dominateurs, fétichistes, bien des possibilités s'offrent à ceux qui le cherchent, qui le trouvent en cet espace perdu d'itaewon, au cœur de séoul. un club caché entre deux enseignes transgenre du homo hills. les problèmes prennent source dans l'improbable, l'impossible, et nombreux sont les employés qui quittent les lieux plus dévastés encore qu'ils ne l'étaient arrivés, l'espoir d'une vie meilleure effrité entre les mains de ceux qui ont le pouvoir le plus complet : la clientèle. chaque vœu est exaucé entre ces murs, chaque demande est traitée, et bien des filles auxquelles on avait promis de n'effectuer qu'une simple danse se sont retrouvées à offrir leurs corps sous les néons aussi rouges que puissent l'être. nelu n'a jamais apprécié cet endroit, ne se raccrochait qu'à la paye généreuse.

a lui aussi, on a menti, on a craché sur la morale et enterré les promesses. c'était une femme d'une cinquantaine d'années qui glissait fréquemment quelques billets en guise de pourboire : la mise en appétit. elle l'a désiré, ardemment, mais ses désirs étranges ont conduit le garçon dans une chambre privée, situation délicate lorsque les cordes enserraient sa gorge et que l'arme pointée sur sa tempe semblait émoustiller cette inconnue fidèle. aucun fantasme n'était assez étrange pour répugner le patron, il avait évincé la morale depuis sa jeunesse fanée et, par son manque d'intérêt, a failli perdre l'un de ses employés. nelu sera jugé ce soir-là pour légitime défense, prendra cinq mois de prison ferme au vue des circonstances et sera relâché pour bonne conduite. il n'a jamais remis un pied au néon rouge, répugne l'idée de se dénuder en un lieu publique et cache sa souffrance derrière un sourire, évite les souvenirs, ne s'accorde que peu de temps pour la réflexion dans la crainte que les images persistantes ne reviennent le hanter. un homme-enfant au sang sur les mains, meurtre sur la conscience.

il est déjà trop tard lorsque la fatigue l'emporte et que ses yeux se ferment, la langue contentée des saveurs de pomme artificielles. avant de s'endormir véritablement, il saisit son portable et dépense quelques wons dans l'envoi d'un sms à l'étranger : ses parents lui manquent souvent, il aimerait qu'ils le rejoignent ici, à busan, ville pour laquelle il a troqué séoul et ses démons. et contre toute attente, c'est aussi ce même soir qu'il réalise qu'il n'y a aucun mal à être sensible à une forme d'art et répugner une autre. c'en est le seul crime qu'il se plaira à assumer par la suite.