moon jae premier amour. Ils sont les deux bébés de 1993, après plusieurs fausses couches d’autres femmes de la secte. On les met dans le même berceau, ils jouent tout le temps ensemble, ne se quittent jamais de l’oeil. Lorsqu’ils sont en âge de participer aux tâches de la ferme, on les met au travail, et ils s’échappent souvent pour aller grimper dans les arbres, se tirer les cheveux et se faire des bisous sur les joues. Ils s’adorent. Ils n’ont que l’un et l’autre. Ils prennent la faute de l’autre lors des punitions, vont faucher des pommes dans la réserve des adultes à tour de rôle. Elle est la seule à savoir qu’il possède un violon, et elle vient le regarder, les étoiles aux yeux, fait danser ses petites poupées en brindille, qu’elle fabrique par centaines. Lorsque l’adolescence arrive, elle commence à moins lui taper sur la tête à toutes les occasions, et c’est vrai qu’ils ne se roulent plus dans la boue, plus gênés par leurs corps qui s’entrechoquent qu’à l’époque où ils étaient enfants. Il grandit d’un coup, et sa poitrine s’arrondit, ses hanches se dessinent. Elle en a honte, n’a pas envie que son ami la regarde différemment, capte déjà quelques regards qui l’incommodent. Elle porte de plus grands vêtements, joue à la garçonne, se coupe même les cheveux courts. “J’aurais préféré naître garçon”, car si jae n’en a pas idée, elle sait le destin qui lui attend en tant que femme à devenir. Déjà, sa mère lui a fait le discours, sur l’honneur qui sera le sien d’être femme de Lee Jimin, leur leader.
Ils ont eu leurs quinze ans. Ils balancent leurs jambes de la branche du pommier sur laquelle ils sont perchés, toisant de haut le reste de la ferme. Son épaule frôle la sienne. Elle se dit que pour lui, elle n’aimerait pas être un garçon. “Est-ce que tu veux m’embrasser ?” franche, directe, toujours. Et il finit par poser ses lèvres sur les siennes, une milliseconde, un baiser d’enfant qui leur envoie du rose aux joues.
Seulement il est parti.
Ils ont eu droit de sortir de la ferme, leur première responsabilité de grands, et ils sont assis tous les deux dans la remorque du camion qui emmène leurs mandarines au marché. Sous couverts de rire, ils en chippent une et se partagent les quartiers, en essayant de ne pas se faire remarquer par le conducteur. Elle ne sait pas ce qu’il se passe, mais il bondit de la remorque, l’entraîne derrière elle. Elle n’arrive pas à suivre son rythme, tente de lui faire comprendre. Sa main, moite, glisse, et elle s’écroule dans le chemin, des cailloux venant lui ouvrir le menton. On la prend par dessous les épaules, on la ramène au camion. Ils partent se mettre en recherche. Et pendant des jours, elle attend en haut de son arbre, qu’il revienne.
Il ne l’a pas abandonnée, si ?
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Hyun Jae. Elle ne peut pas faire grand chose, avec un seul nom. Elle ne sait même pas où aller. Fait du stop, comprend que pour vivre il faut avoir un boulot, passe de serveuse dans une ville à serveuse dans une autre, a l’impression de faire tout le tour de la Corée avant de s’installer à Busan. Elle ne le trouvera pas. Elle ne le trouvera jamais. Mais peut-être n’a-t-il pas envie de la revoir. Peut-être a-t-il vraiment voulu la laisser là bas.

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