L'Histoire

Une fumée blanche s’échappa des lèvres entrouvertes du jeune homme en même temps qu’un long soupir. Les lèvres tremblantes, il approcha le bâton de nicotine une fois de plus de sa bouche d’un geste sûr avant d’aspirer longuement le doux poison, le faisant pénétrer directement dans ses poumons. Une toux sèche coupa le silence de la nuit, tandis que le corps du garçon se contractait. Penchant son buste en avant, il essaya de reprendre son souffle alors qu’un rire se joignait à sa douleur. Il était ridicule. C’était la seule pensée que son cerveau anesthésié pouvait formuler en cet instant. Son rire se mélangeait au silence de manière étrange. Secouant la tête, il essaya de reprendre ses esprits en portant sa main droite à sa tempe. Arrête de rire. Le silence revint d’un coup sec, et sans qu’il ne s’en rende compte, de manière compulsive, il porta la cigarette à ses lèvres gercées. Le froid mordait sa peau violemment mais il ne ressentait plus rien. Le regard dans le vide il se laissa glisser contre le mur pour s’accroupir par terre. Que faisait-il là ? Depuis combien de temps était-il planté là, immobile, dans le noir ? Il ne se souvenait plus vraiment. Baissant la tête, il remarqua le nombre affligeant de mégot qui s’étalaient par terre à côté de lui. Un sourire déforma son visage alors qu’il continuait de tirer sur la cigarette de manière mécanique. Les yeux plantés sur les cadavres de cigarettes il approcha sa main du tas de cendre doucement comme s’il allait s’enfuir au moindre mouvement brusque. Fasciné il saisit un peu de poussière entre ses doigts et l’observa alors que ses pensées s’embrouillaient. S’il continuait dans ce sens, lui aussi deviendrait-il un tas de poussière sans importance ? Le vent fit voler la cendre autour de lui. Après un bref sourire il se redressa alors que sa toux reprenait de plus belle. Sa main droite lâcha la cigarette qu’il tenait si fermement quelques instants auparavant alors qu’il se levait précipitamment. Le jeune homme jeta son corps en avant se cramponnant à la barrière du balcon. Crachant à moitié ses poumons et les larmes aux yeux il essaya de se calmer une fois de plus.

Un bruit se fit entendre dans la maison. Le jeune homme coupa alors sa respiration tout en immobilisant son corps. Une lumière s’alluma et des bruits de pas qui se dirigent vers la cuisine retentirent. Ne pouvaient-ils pas être plus silencieux ? Le bruit assourdissait les tympans du garçon penché contre la rembarde du balcon. C’était surement son père. Il voulait être tranquille. Dieu qu’il avait envie de partir de cette baraque et de s’évader loin de sa famille, loin de Busan aussi qui sait ? Après quelques instants la lumière s’éteignit et le silence revint. Le jeune homme se permit alors de bouger. Quittant son perchoir d’un pas chancelant il rentra dans sa chambre, tâtonnant les murs essayant de se tenir sur ses jambes tremblantes. Il jeta un regard aux cadavres de bouteilles étalées sur le sol de sa chambre avec un petit sourire avant que son regard ne se pose sur son skate. Il avait besoin d’air. Il se dirigea vers celui-ci, le pris dans ses mains tremblantes et rassembla le peu de force qu’il lui restait pour sortir de chez lui en essayant de faire le moins de bruit possible. Puis une fois dehors il se mit à marcher, son skate en main. Sa démarche était chancelante, l’alcool ravageait son esprit, il ne savait plus ce qu’il faisait. Après avoir marché tant bien que mal pendant une demi-heure il atteint enfin le parc. A cette heure-ci il était vide. Le jeune homme s’avachit sur le banc alors qu’un relent d’alcool remontait dans sa gorge. Il lâcha son skate et s’allongea. Sa tête tournait, il eut envie de rire. Alors il ria, de tous ses poumons, gorge déployée. Sans vraiment comprendre il sentit ses joues trempées et su qu’il ne riait pas vraiment. Au fond, il pleurait.

Ce n’est rien Seo Kwon. Demain tout ira mieux. Demain tu redeviendras ce garçon calme qui ne se laisse pas avoir par ses sentiments. Demain tu reprendras ton skate et arpenteras la ville avec ton appareil photo. Demain tu souriras. Demain tu oublieras.

Au fond le pire, ce n’est pas pour ceux qui partent. Mais pour ceux qui restent, avec leurs souvenirs et leurs démons.