Je suis né au Texas, dans une communauté bien particulière. Oui ils appelaient ça « communauté », les autres lui avaient donné un autre nom : Secte.
Je ne le savais pas à l’époque, je n’avais connu que ça. Je voyais mes parents une fois par semaine, heureusement, il y avait mon frère, Sorel, pour veiller sur moi. Tous les enfants vivaient dans la même maison, surveillés par quelques femmes choisies pour nous éduquer. Il n’y avait pas d’école, juste du bourrage de crâne pour nous rendre docile et en colère contre le monde entier. Un moyen de nous retourner le cerveau pour imposer leur emprise, pour que l’idée de fuir ne nous frôle jamais l’esprit. Il y avait des règles à respecter sous peine de sanctions. Sanctions que j’ai subies durant de longues années.

Oui, j’ai grandi sous la menaces des coups. Je me retrouvais enfermé dans un coffre, dans une totale obscurité, durant de longues heures, à chaque faux pas. Je pleurais, je hurlais, mais personne ne venait ouvrir. Sorel me récupérait et me réconfortait le reste de la nuit. J’ai appris à devenir plus obéissant après qu’on m’ait maintenu la tête sous l’eau un peu trop longtemps. Pour nos parents, il n’y avait rien de plus normal. C’était le meilleur moyen pour éduquer les enfants et leur faire comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de penser par eux même.

Voilà dans quel environnement j’ai passé mes treize premières années. Jusqu’au jour ou Sorel nous a délivré. Il avait dix-huit ans, il avait le droit d’être dans la maisons des adultes et je me sentais perdu sans lui. Une nuit, il est venu me chercher et il m’a emmené. On a passé la nuit dans un café avec le peu d’argent qu’il avait réussi à voler. Si on nous retrouvait, ils allaient nous tuer. Il fallait fuir, mais j’étais encore jeune et je ne comprenais pas l’urgence de la situation. C’était la première fois que je voyais l’extérieur et tout m’hypnotisait. C’était ça, le monde ?

Je me souviens avoir traversé le pays en bus à ses côtés. Il était toujours sur ses gardes et il estimait que nous n’étions pas en sécurité, qu’il fallait quitter le pays. Mais comment ? Il disait qu’on avait de la famille en Corée, qu’il fallait juste réussir à les joindre. Sorel se battait pour moi, pour mon avenir pour que nous ayons une chance de grandir et de vivre. On dormait parfois dans la rue, l’un contre l’autre. Et puis le miracle est arrivé. Notre tante est venue nous chercher. Je ne savais pas ce que c’était une famille. Pour moi il n’y avait eu que la communauté.

Nous avons vécu quelques mois chez elle jusqu’à ce que Sorel trouve un travail. Ce n’était pas très bien payé, mais suffisant pour obtenir un petit appartement. Pour nous deux. J’apprenais la langue au fil du temps, mais je ne suis jamais allé à l’école. J’avais beaucoup trop de retard pour être au niveau des autres élèves. Je prenais des cours dans une association. J’ai fini par m’ouvrir au monde, par me faire des amis. Je ne savais pas ce que c’était. J’ai découvert ce pays et tout ce qu’il avait à m’offrir. J’ai grandi. Je suis devenu plus fort, plus autonome.

J’ai laissé place à un caractère plus fort, à une puissante envie de vivre. Il restait malgré tout, les traces de mon passé. Les hommes ne doivent pas aimer les hommes. Et pourtant c’était eux que j’avais envie d’embrasser après une soirée un peu trop arrosée. J’ai commencé à vendre de la drogue pour me faire un peu plus d’argent, pour aider Sorel à payer le loyer. Je disais que je gagnais un peu plus dans l’épicerie où je travaillais. Je suis quelqu’un à part entière aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir été sauvé.