L'Histoire

Crier, courir, sauter, grimper... Tu as toujours été une enfant pleine d'énergie, fougueuse et curieuse du monde qui l'entourait. Tes parents te suivaient toujours des yeux, de peur que la casse-cou que tu étais, ne tombe du muret que tu escaladais vaillamment. Tu n'étais pas sage, ni timide, n'appréciant pas tellement de te faire tirer les cheveux en des coiffures presque ridicules de petites filles. Tu tirais sur les chouchous, les perdais souvent, ébouriffant les mèches brunes en bataille après avoir tant jouer avec les enfants du quartier. Pour canaliser ce trop plein de vitalité, ta mère avait choisi de t'inscrire à des cours de danse, mais pas n'importe lequel, un cours de danse en couple. Et qui de mieux que Dae Ho pour t'accompagner dans cette galère ? Vos mères étaient toutes les deux des amies proches, et c'était tout naturellement que vous l’étiez aussi devenus. Le duo inséparable. La danse, ce n'était pas vraiment ce qui t'enthousiasmais le plus, mais plus tu y allais, plus tu trouvais cela amusant. Ton partenaire se débrouillait bien, il apprenait bien plus vite que toi, même si tu le taquinais. Mais toi, tu étais le petit mouton noir du groupe. Pendant plusieurs années, tu ne prenais pas cela vraiment au sérieux, et pourtant, tu avais du potentiel. La vitesse était ton point fort, c'était ce que ton professeur t'avait dit, et c'était la première fois que l'on soulignait chez toi une qualité dans cette discipline. Cela avait gonflé un peu ton égo de jeune enfant, te poussant à donner plus, et à vouloir t'améliorer. Ce fût tout d'abord cette vitesse que tu voulais contrôler dans tes tours dignes d'une tornade incontrôlable, puis la précision de tes gestes, de tes pas, enchaînant l'apprentissage de diverses danses : le tango, la paso doble, la valse, la rumba, la salsa... Mais tu étais toujours aussi indisciplinée ! Le nez vers la fenêtre, les pensées bouillonnantes, tu te faisais souvent remettre en place par ton instituteur, enchaînant les punitions sur la barre en bois où tu étirais ton corps à t'en faire grimacer. Durant toutes ces années, Dae Ho était celui qui te cadrait entre ses bras, qui te sortait de ta bulle pensive pour t'entraîner avec lui sur la musique. Il était la maturité, la patience et le contrôle, tu étais l'insouciance, l'impulsivité et la fantaisie. Deux contraires parfaitement accordés, amis de coeur et de passion.


Imprévisible, ça tu l'étais. A dix ans, tu regardais Mulan pour la quarantième fois de ta vie et tu avais eu un déclic. Une paire de ciseau dans une main, et un carré complètement déstructuré habilla ta chevelure. Tu étais fière, ta mère beaucoup moins, ses cris portant dans toute la maison. Ton père, ça l'avait fait marrer lui, et toi, tu te trouvais plus légère. Mais cela renforcait un peu plus ce caractère un brin garçon manqué qui te collait à la peau. Tu t'en fichais. Tu le gardas pendant un moment ce carré qui encadrait ces joues pleines et ce regard pétillant, sûr de lui. On te taquinait à cause de cette coiffure parfois, de ta peau caramel, à cause des danses que vous pratiquiez aussi toi et Dae Ho, qualifiées de "danses de vieux". C'était juste des incultes coincés, voilà ce que tu leur criais ! Mais parfois, c'était des garçons bien plus âgés qui s'amusaient de toi. Des garçons de ton quartier, dont Elijah, l'un des rares dont tu te souvenais du nom. Pourquoi tu t'en souvenais ? Parce qu'à chaque fois qu'il passait à côté de toi, il se moquait, avant de te secouer les cheveux frénétiquement ! T'avais l'air d'avoir pris un immense ouragan dans la figure, et tu pestais après lui, la moue boudeuse et le poing serré. Il était toujours accompagné d'un ami, Yoon, plus discret, et tu le préférais largement, car au moins, il ne te disait rien ! Et puis un jour, adieu le carré, bonjour les cheveux longs. A treize-quatorze ans, c'était à cette période que ta mère te poussa à faire de la compétition, vous concentrant toi et Dae sur une seule et même discipline dans laquelle vous excelliez : la salsa. Et la féminité commença enfin à t'amadouer. La petite fille se métamorphosa doucement en femme, la crinière dansante, et le corps transcendé, parsemé de paillettes étincelantes. C'était la phase de tous les changements, l'adolescence, ta silhouette devenant plus pulpeuse et ta confiance grandissant avec ta passion. Tu t'y mettais enfin sérieusement, ça y est ! Votre premier prix, vous l'aviez gagné à quinze ans, une troisième place qui vous avez rendu terriblement heureux, à en pleurer devant tout le monde. Oui, même Dae Ho ! Mais le plus marquant, restera votre première coupe un an plus tard, la première place et pas des moindres : votre premier titre de champion de salsa en Corée ! Les trois autres suivirent à partir de vos vingt ans, vous procurant toujours autant d'effet, sans jamais vous en lasser. Ce sentiment de fierté, la récompense de l'effort acharné. Et pourtant, vous gardiez toujours cet éternel amusement en dansant tous les deux. Cela restait toujours un jeu permanent, un plaisir, un moment partagé dont vous étiez les seuls à en connaître les pas. Tout vous souriez ! On vous proposait des projets dans tous les sens, et vous n'arriviez pas à atténuer votre excitation ! De nouvelles rencontres, de nouvelles découvertes, peut être même de nouveaux titres ? Vous en étiez même certain. Il était même grand temps d'aller provoquer les danseurs des autres pays, et montrer ce que vous saviez faire ! Avec mon ami de toujours, je n'avais peur de rien. La main dans la sienne, je pouvais tout affronter, tout.


10 octobre 2017.


8h13, au téléphone.
- Dae Ho « J'arrive vers 13h, tu viens toujours me chercher hein ? N'oublie pas sinon.. Jae ? Yah ! Tu t'es endormie ? »
- Jae Rin « Hmm.. Mais non.. Non je t'écoute. Oui, je viendrais, compte sur moi pour venir avec une grande banderole, en criant ton prénom bien fort dès que je te verrais ! (sourit) »
- Dae Ho « T'as pas interêt ! Si tu fais ça, je fais demi-tour et je reprends l'avion, t'as compris ? (lâche un petit rire) Bon, on se voit dans 5 heures ok ? Sois à l'heure, j'te connais. »
- Jae Rin « Si tu fais demi-tour, je te cours après en faisant un scandale et tu sais que j'en suis capable. Je serais à l'heure.. Hmmm.. Allez, grouille toi de prendre ton avion, tu me manques... »
- Dae Ho « Joue pas les sentimentales, ça me fout des frissons ptin, pouaaah ! Tu me manques aussi Rin-ah et.. Ah je dois embarquer. Je te laisse, on se voit en Corée ~ »
- Jae Rin « T'as intérêt à m'avoir rapporté un cadeau.. ! A tout à l'heure ~ »


12h25, aéroport international d'Incheon.
Tu cours. Tu cours, tu cours, et tu cours encore dans cet espace immense dans lequel tu pourrais te perdre. Tu regardes partout, les yeux en l'air cherchant la bonne direction que tu finis par demander à une hôtesse d'accueil, qui t'indique le chemin à suivre d'un geste de la main. Tu la remercies à peine, tu cours à nouveau, et plus tu cours, plus la peur t'envahit. Tu percutes quelques personnes, tu t'excuses à tout va, les gens te regardent comme si tu étais une folle. Ce que tu sembles être à ce moment précis. Tu arrives à la compagnie aérienne concernée, le lieu est bondé. Les guichets sont pleins, le personnel dépassé. Dépassé par les cris des proches, des familles qui affluent par nombre à la recherche d'informations, que personne ne semble encore pouvoir leur donner. Ta poitrine se soulève frénétiquement, tes poumons te font mal et ta tête tourne. Tu ne sais pas où regarder, tu ne sais pas où aller, tu ne sais plus. Tout le monde s'égosille. Une ajhumma crie "Où est mon fils ?!", un homme répète sans cesse en boucle "Ma femme a pris cet avion, je ne comprends pas, elle devrait déjà être là. Ma femme a pris cet avion, je ne..", tandis qu'une femme dans la trentaine, tente de calmer son fils entre ses bras, lui chuchotant une promesse à propos de son père qu'elle n'était pas sûre de pouvoir tenir. La colère monte dans la foule, tu es embarquée avec elle, désorientée, hors de la réalité que tu n'as toujours pas encaissé. Le chef du personnel se hisse sur une chaise et s'écrie « Mesdames et messieurs, tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que l'avion a disparu de nos écrans radars ! Il a disparu il y a de cela plus d'une heure, nous n'avons pas plus d'informations à vous donner pour le moment, nous sommes désolés ! » Disparu. Tu restes fixée sur ce mot qui semble résonner dans ta tête. En boucle, un mot qui te pique et qui te saigne de l'intérieur. Ton regard est attiré vers l'écran au-dessus de toi, une carte y apparaît, tu vois l'avion et le point rouge indiquant l'endroit où le signal a été perdu. L'océan. En plein océan. Dae Ho, il n'a jamais vraiment aimé l'eau... Ton coeur se serre, tu ne te sens pas bien. Ton visage pâli, ta silhouette debout dans le bourdonnement environnant, figée, désemparée. Tu te sens partir en arrière, et te rattraper d'un pas, un dernier réflexe. Ta bouche s'entrouvre, haletante, l'eau salée coulant lentement sur tes joues. Tu regardes autour de toi, les gens s’enlacent, pleurent, s'époumonent, s'effondrent. Leur détresse t'envahit, t'écroule. T'écrase et t'étouffe. Tu vacilles sur une chaise, à côté d'un jeune homme affichant la même expression que toi. Un silence choqué, tempétueux, un déni que tu voulais croire, tout comme lui. Tu plies tes jambes contre toi, avant de les entourer de tes bras, le front reposant contre tes cuisses. Les yeux grands ouverts, les larmes inarrêtables, les doigts tremblants qui s'accrochent au jean, les griffes s'y enfonçant comme pour tenter de te réveiller d'un rêve terrifiant. « C'est pas possible.. C'est pas possible.. C'est pas possible.. C'est pas possible.. » te répètes-tu sans reprendre ton souffle, tentant de te convaincre que tout allait bientôt s'arranger. Que tu allais le voir passer la zone d'embarquement, exagérant en te disant que c'était un miracle que tu sois à l'heure. Tu lui assénerais une petite tape, avant de le prendre dans tes bras, te laissant envahir comme à chaque fois par ce sentiment de sécurité qu'il te transmettait. Il allait te confier sa valise, prétextant qu'il était fatigué du voyage. Tu râlerais, un peu, beaucoup, mais tu le ferais quand même parce qu'il t'aurait manqué. Tu entends encore ses mots de ce matin, résonnant avec chaleur et tendresse à ton oreille... Un hoquet violent te traverse, et tu fonds en larmes, l'angoisse te terrassant en quelques secondes...



Avril 2018
Tu étires la jambe vers le ciel, le haut de ton corps se courbant en arrière en un équilibre assuré. Tu le casses, le tords, le désarticules, reflétant dans le large miroir le visage d'une danseuse perturbée, préoccupée. Tu ondules, les hanches mouvantes, le buste aguicheur, la chevelure cascadant jusqu'à tes reins. Tu bondis, tu tournes et virevoltes à travers la salle éclairée par des néons lumineux. Tu cherches à évacuer quelque chose, du stress, une mauvaise journée, une discussion houleuse. Ou juste un souvenir qui t'as terrassé. Les souvenirs de ceux qu'on aime, de ceux qu'on a perdu, heureusement qu'on les a. Mais parfois, ils nous font si.. mal.. si mal... Ils nous prennent par surprise, au moment où l'on s'y attend le moins, et ils nous paralysent. Et les émotions sortent sans que l'on puisse les contrôler. Si, un peu, devant ceux qui nous disent si on va bien, si il y a un soucis. Mais tu ne veux pas les ennuyer, les inquiéter. Tu dis juste que tu as eu une sale journée. Tu pries juste pour qu'on ne te prenne pas dans les bras, sinon, tu ne pourrais plus te retenir. Mais là, tu es seule, enfin. Tu tournes sur toi-même, la main en l'air, comme si elle était guidée, initiée par une silhouette invisible que tu avais toujours l'impression de sentir autour de toi. Tu t'écroules, te laisses tomber sur le sol. Allongée sur le dos, ta poitrine se soulève au rythme de ces battements effrénées qui semblent la transpercer de toute part. Tes prunelles étirées vers le plafond, alors que des coups brusques t'assaillent soudainement. Les paupières se ferment, ton visage se crispe, grimace, alors que ton dos se cambre en un cri de désespoir, strident et animal. Tu cries, plusieurs fois, jusqu'à ce que tout sorte, tout s'échappe, tout ce mal, toute cette tristesse accumulée qui t'écrase le coeur. Dans le miroir, tu ne vois que toi. Tu es seule, et tu n'arrives toujours pas à t'habituer à danser sans que ses bras ne te rattrapent. Ses paumes enserrant ta taille, ses doigts pressant les tiens, son regard confiant et joueur qui te poussait au défi... Ton coeur qui battait plus fort. Quand tu danses toute ta vie avec une seule personne, il est difficile de retrouver le même sentiment avec quelqu'un d'autre. C'était ton partenaire, ton ami de toujours. Et ton coeur brisé par une amitié déchirée, l'est peut-être aussi par un amour renié et perdu...


Juin 2018
Tu t'entraînes désormais seule, pour l'émission de "Danse avec les stars", dans laquelle tu as été recruté en tant que nouvelle danseuse pour la rentrée. Tu vas rencontrer au cours de l'été un danseur de l'équipe, nouveau lui aussi, avec qui tu vas devoir t'associer pour les chorégraphies de groupe qui seront crées pour les diverses émissions. Tu as peur de ne pas t'entendre avec lui, chose qui ne t'arrives jamais et pourtant, c'est ce que tu ressens. Inconsciemment, tu les compares tous à "lui", et tu ne peux jamais complètement te détendre, et te relâcher pleinement. Au fond de toi, il est toujours là, et tu ne t'ai toujours pas détaché de lui. Mais tu avances. C'était une opportunité, on t'y a encouragé, alors tu as foncé. Tu vas devoir aider une célébrité, être patiente et l'accompagner tout le long de son apprentissage auprès de toi. Tu crains d'être incapable de bien enseignée, de bien te faire comprendre. Tu doutes en permanence, alors que tu n'y es même pas encore. Sans lui, tu doutes plus qu'avant, car un mot de sa part pouvait te calmer, toi la nerveuse. Maintenant, tu dois apprendre à le faire seule, sans ton pilier. L'esprit vacillant, le coeur bousculé, mais une femme déterminée à réussir et à évoluer.