« Mon trésor, dis bonjour à Sanggyun. »

J'avais quatre ans quand t'es arrivé, entre temps j'ai oublié les années qui ont précédé ces présentations. Parfois je doute qu'elles aient existé. Ça a toujours été toi et moi après tout. Ça a toujours été nous deux.
Tu sais je t'ai tout de suite trouvé adorable, j'ai immédiatement adoré tes yeux.
Tes yeux si grands, si sombres et pourtant si doux.
Tes yeux cependant dépeints de crainte, qui te faisaient parfois ressembler à ces chats effrayés qu'on essayait de nourrir devant la maison.
Non, tu ressemblais plutôt à un chiot en fait. T'étais si timide, tu te souviens ? Si j'étais Peter Pan alors tu étais mon ombre, jamais bien loin, toujours dans mon sillon.


« Dis Ha, je peux dormir avec toi ? »

J'aimais bien quand maman et papa collaient nos lits et qu'on parlait jusqu'à très tard. On faisait semblant de dormir quand ils venaient vérifier rappelle-toi. Puis quand ils repartaient on ressortait nos consoles de sous l'oreiller qu'on se balançait parfois au visage.
On avait quoi, dix ans à l'époque ? Je t'appelais encore par notre nom de famille, tu sais c'était pour te montrer que tu en faisait partie, de la famille. T'as jamais été une pièce rattachée tu sais, j'ai jamais cru au destin pourtant crois moi j'étais convaincu que
t'étais fait pour nous.
((Pour moi)).


« [...] Et donc là je lui répond que de toute façon il a pas le choix. J'ai bien fait non ? ...Eh tu dors ? »

Parfois je repense à ces gens qui nous voyaient si proches quand on était que des gamins, ils disaient qu'en grandissant on se disputerait probablement souvent et qu'on s'éloignerait.
T'as vu, on leur a prouvé le contraire.
C'est ennuyant la routine, c'est banal. Mais quand c'est avec toi, moi je trouve ça trop bien. On avait nos habitudes, nos activités régulières. Les jeudis soirs se déroulaient toujours comme ça; tu rentrais du sport, je massais tes muscles endoloris, et je finissais par peindre sur ta peau. Je l'ai toujours préférée aux toiles de lin.
Puis tu finissais par t'endormir, et le rythme apaisé de ta respiration faisait bouger les taches de couleur sur ton épiderme comme la houle de l'océan.
((T'avais pas besoin d'être recouvert de peinture pour être une oeuvre d'art))


« Qu'est-ce qu'on est en train de faire ? »
« J'sais pas. »

On savait pas non, pourtant ça nous arrêtait pas. Tu sais je t'avais toujours trouvé beau, jusqu'au jour où je t'ai trouvé parfait.
J'ai troqué mon affection fraternelle, moi je voulais
t'aimer.
Mais c'est pas normal, pas vrai ? Parce qu'on est des garçons, parce qu'on est des frères.
Pourtant tu m'as embrassé et j'ai surenchéri. Et en un instant, tout le reste avait disparu. C'était plus que toi et moi, tes lèvres contre les miennes. Tes mains dans mon cou, mes doigts dans tes cheveux.


Puis y'a eu ce jour, celui que je peux pas ponctuer avec un dialogue. Ce jour où le seul à voir pris la parole, c'est le silence.
Je me souviens encore de chaque sensation tu sais. De la texture froide des draps entre mes doigts quand j'ai tendu le bras pour te faire notre habituel câlin matinal. De la surprise face au vide sur le matelas à ma droite.
De la panique quand mon regard encore embrumé par le sommeil s'est posé sur l'armoire ouverte face au lit.
Vide.


Et mes réponses j'ai dû aller les chercher chez maman parce que tu répondais pas. Tu sais j'ai pas voulu y croire, j'ai pas pu y croire.


« Il t'a pas prévenu ? Il est parti en internat pour le sport ce matin. »


Et face à ton silence maman à décidé de parler. Parler de tout ce que toi t'as pas eu le cran de me dire. Je croyais qu'on avait pas de secrets entre nous, je pensais que tout allait bien.
Putain, pourquoi tu m'as pas dit que tout s'écroulait ? Comment t'as pu en arriver à me détester si fort que t'as préféré t'en aller pour plus me voir ?



Et les mois ont défilé comme ça. T'as tout bousillé tu sais ? Toutes nos habitudes, notre routine qui me convenait si bien. Pour la première fois j'ai dû apprendre à vivre sans toi. Sans mon grand frère, sans le garçon que j'aimais.
Et putain,
chaque seconde, chaque action ramenait toujours mes pensées vers toi.
Toi, toi, toujours toi.
J'ai arrêté de compter les appels, les messages, les suppliques désespérées aux parents pour qu'ils acceptent de me dire où tu étais parti exactement.
Mais j'ai jamais arrêté de compter les jours.



Je me voyais devenir fou tu sais. À te chercher dans la foule, à tenter de retrouver ton parfum sur les quelques affaires que tu avais laissé dans la chambre. À essayer de me souvenir de la sensation de nos baisers, de tes mains, de ton regard sur moi.
Je te parlais parfois, mais comme t'étais pas là ça revenait à parler au vide.
C'est tout ce que tu m'as laissé. Un putain de vide.




Je pourrais te raconter combien de semaines j'ai passé à pleurer, combien de scénarios j'ai imaginé, combien d'espoirs j'ai eu en sentant mon téléphone vibrer, combien de fois je me suis disputé avec maman et papa à cause de mon état, à cause des réponses que tu leur interdisais de donner.
Je pourrais t'énumérer toutes les remises en question qui ont suivi ton départ, toute la culpabilité qui m'a bouffé,
et puis la colère, la tristesse, l'incompréhension, la rage;
et puis l'amour.
Mais t'en as rien à faire, pas vrai ?




Tous les ans c'était la même chose, mon seul objectif pour la nouvelle année c'était toi, c'était te retrouver.
Un an, deux ans, puis trois, puis trop.
J'ai jamais pu passer à autre chose tu sais ? On dit que le plus dur dans le manque, c'est qu'il s'accompagne de l'oubli.
Foutaises.
J'ai passé ces dernières années à me réveiller avec ton visage qui envahissait mes pensées.
Je serais capable de citer tous tes tics, de donner l'emplacement des grains de beauté sur ton visage, la nuance exacte du brun de tes yeux. Est-ce que tu as beaucoup changé ? Je me le demande parfois.
Moi j'ai changé tu sais. T'aurais sans doute honte de moi si tu me voyais aujourd'hui avec mes cheveux trop longs, mes soirées passées à boire. Puis le garçon avec qui je couche.
Finalement c'est peut-être pas plus mal que tu sois pas là pour voir ça.